Pour le Vatican, le concordat aurait pu être avalisé le jour de Pâques. Mais il n’en a rien été – l’administration papale a même démenti qu’un accord puisse avoir lieu « avant juin ». Comme pour apporter un contrepoint, un porte-parole de Pékin déclara que les palabres des semaines passées s’étaient déroulés « en profondeur et bonne volonté », et que leur reprise prochaine seraient empreints de « positivité ». Autrement dit, l’espoir demeure.
Ce qui se passe, on le devine entre les lignes du tout récent livre blanc du régime sur les religions dans le pays. Faisant montre d’un rare effort de transparence, le document reconnait 200 millions de fidèles, hormis ceux des églises de l’ombre, dont 38 millions de protestants et 6 millions de catholiques. Les bouddhistes doivent représenter les trois quarts de ce chiffre officiel. C’est une question de critères, dans le décompte. Vingt ans plus tôt, les chrétiens étaient 8 millions de protestants et 2 de catholiques. Mais les nombres réels sont beaucoup plus forts, une fois ajoutés les chrétiens « sympathisants » et ceux « de l’ombre ». Les seuls protestants feraient plus de 90 millions, dépassant la cohorte des membres du Parti.
D’un point de vue idéologique, la partie intégriste du régime se raidit, sous le rappel de l’interdit fondamental : une « puissance étrangère » ne peut exercer une « influence » sur le pays. Pourtant le Parti ne revendique nulle autorité sur le domaine de l’âme, pas plus que le Vatican sur le mondain, ce qui devrait satisfaire tout le monde. Bien sûr, ces catégories théoriques, « monde » et « âme », ont du mal à coexister dans un monde réel : entre Chine et Vatican, il existe des zones de friction sur leur délimitation, telles la nomination des prélats, la gestion des biens de l’église, ou la lecture en chaire des « lettres pastorales ». Surtout, ce qu’il faut voir, est l’exacerbation des passions dans les deux camps, quand le concordat se rapproche. Athées socialistes et fidèles catholiques redoutent de se retrouver face-à-face « réconciliés » en dépit de leur passé violent.
Symptôme de la tension qui monte : le 23 mars, l’évêque Guo Xijin, notoirement réfractaire à son affiliation à l’Association Catholique Patriotique, disparaît de son diocèse du Fujian. La veille de Pâques, il réapparaît et Chen Zongrong, un des patrons de cet organe d’Etat, dément qu’il ait été enlevé. Il s’était rendu « de son plein gré » à une « séance de thé » prolongée à Pékin.
Puis le 30 mars, les plateformes d’e-commerce ont rayé de leur inventaire toute Bible : le régime, en dépit du bon sens, semble espérer limiter les ventes du livre saint. Tout ceci esquisse un tableau d’une société chinoise, chrétienne comme socialiste, profondément divisée face au rapprochement, aussi imminent que déchirant.