LE VENT DE LA CHINE

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Regard profond sur la santé chinoise

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Sous un titre austère, « Les fondamentaux de l’accès au marché pharmaceutique », Eric Bouteiller et Annie Chicoye ont relevé un pari d’une incroyable complexité : décrire les circuits de production de médicaments à travers les cinq continents, et en matière de santé, les rapports entre gouvernements, laboratoires, hôpitaux et patients. L’ouvrage en anglais tisse sa toile à travers les sciences médicales, la R&D, la finance, le droit international, la propriété intellectuelle et les idéologies.

Aux chapitres consacrés à la Chine, l’ouvrage bénéficie de la solide connaissance du terrain chinois d’Eric Bouteiller, pharmacien de formation, qui dirigea de longues années à Tianjin l’usine d’un groupe pharmaceutique français.

Sous l’angle de l’organisation de la santé, le livre rappelle les choix et les priorités du régime depuis la révolution de 1949 : le système basique national, la prévention des maladies infectieuses, les soins à la mère et à l’enfant, et le contrôle des naissances. L’ouvrage évoque le maillage médical simple déployé en ville comme à la campagne, les dispensaires coopératifs, les médecins aux pieds nus, les hôpitaux généraux… A partir de 1978, sous l’influence de Deng Xiaoping, arrivent les grands hôpitaux, les médicaments occidentaux, les techniques médicales modernes. Toutefois, le système de santé chinois entre en crise, à la suite du désengagement financier de Pékin : 10 ans de révolution culturelle ont ruiné l’Etat central, forçant les provinces et leurs hôpitaux à se débrouiller par eux-mêmes. Commence alors à se développer une santé à deux vitesses, avec le risque de laisser pour compte une majorité de pauvres, ruraux et urbains non solvables.

La reprise en main se fait sentir à partir de 2009 et surtout en 2016, sous Xi Jinping qui émet un plan « China Health 2030 » avec pour objectif un système de santé durable et équitable. Le changement de trajectoire est urgent, vu l’explosion des coûts des soins, passés de 3,67% du PIB en 2007 à 5,59% (+65%) en 2020. Aujourd’hui même, la Banque Mondiale prédit un passage à 8% pour 2060, soit un coût insupportable pour la population, si le système n’est pas amendé d’ici là. Les pathologies dominantes évoluent avec l’enrichissement du pays : le tabac, les produits gras et sucrés, la pollution favorisent l’accélération des cancers, du diabète, des maladies cardiovasculaires.

Pour faire face, l’Etat multiplie en « mille-feuilles » (en français dans le texte) les assurances médicales, de celle « de base » à l’assurance complémentaire totale du service public, en passant par l’aide sociale et l’assurance volontaire mise en place dans 200 grandes villes. Dans le même temps se multiplient les ouvertures d’hôpitaux tertiaires (+82% en 10 ans) et secondaires (+32%).

Bilan : en 2022, la santé chinoise reste accompagnée par le succès. A niveau de revenu et de dépenses de santé comparable, l’espérance de vie en Chine reste supérieure à celle du reste du monde.

La digitalisation de la santé (l’ « hôpital Internet ») permet de belles avancées, par exemple avec l’interprétation par intelligence artificielle : la formidable base de données des radios accumulées à travers le pays (des centaines de millions de clichés sous rayons X) permettent à un seul ordinateur à forte capacité placé dans une des métropoles, d’analyser la radio d’un patient quelque part en province, et de lui fournir en temps réel le diagnostic exact. Il le fait plus vite et avec plus de précision qu’un grand spécialiste. De ce fait, il permet un traitement plus précoce (une meilleure chance de guérison), et prévient l’engorgement des services spécialisés d’un grand hôpital.

Par cette stratégie et bien d’autres, le miracle médical se poursuit : la Chine se mue en innovateur thérapeutique, en biotechnologie pharmaceutique, en équipements de nouvelle génération et en santé digitale.

Au chapitre sur l’industrie des médicaments, les auteurs entament leur analyse par un constat radical : depuis 2014, la pharmacie chinoise occupe le second rang en valeur avec 112 milliards de $ (7,6% du marché mondial), et le premier en volume avec 9% des doses quotidiennement prises à travers les 5 continents.

La Chine, pourtant, revient de loin. Au tournant du siècle, elle peinait à fournir, accusant un retard en matière de test et de certification, dû à une débauche d’administrations concurrentes revendiquant tout ou partie de la maîtrise décisionnelle. Le déclic s’est produit en 2018 par l’entrée en fonction d’une administration unique des produits médicaux, compétente pour la production, la certification, la distribution et la tarification des médicaments – sur toute la chaîne de création de tous les remèdes. Un bon exemple au passage, de la capacité d’arbitrage et de la clairvoyance technocratique du régime sur ses secteurs-clé de la société et de l’économie.

Immédiatement, les fruits apparaissent. Dès 2022, 2 400 remèdes sont certifiés, dont 89% issus des industries locales, des ingénieurs et pharmaciens formés dans les universités chinoises. En moyenne désormais, les nouveaux produits (en majorité des génériques biosimilaires, permettant de se passer des importations ou des produits sous licence) obtiennent désormais leur certification et passage en pharmacie au bout de 15,4 mois. En même temps, la liste de plus de 2 000 médicaments agréés et remboursés est mise à jour chaque année, avec des prix rognés de 40 à 80% – les industriels doivent espérer reconstituer leurs marges dans une production de masse.

Une autre manière pour la Commission Nationale de Santé de réduire les coûts, consiste en des achats de masse destinés aux besoins des milliers d’hôpitaux ou cliniques publiques. Ces commandes massives interviennent deux fois l’an, suivant un appel d’offres impliquant au moins trois concurrents. La remise, pour les 40 médicaments ciblés (les plus usités) est de 50% en moyenne, rendant ainsi la médecine plus accessible aux faibles revenus.

La pratique a aussi pour effet, évidemment recherché par le pouvoir, d’écarter la production étrangère, même « made in China ». Du coup, les grands noms de la pharmacie internationale, après avoir connu leur heure de gloire jusqu’au tournant du siècle, se retrouvent contraints de se replier sur des marchés de niche. Au moment de solliciter la certification de toute nouvelle molécule, ils doivent soigneusement choisir leur stratégie : solliciter l’entrée dans la liste remboursable, à prix cassé mais avec la garantie de ventes très grand public, ou bien viser un public rare mais fortuné, pour traiter des pathologies face auxquelles la médecine locale n’a pas de solution. Ils doivent aussi intégrer, dans ce calcul, un autre impératif : que leurs ventes de ce produit en Chine et à ce prix, n’aillent pas compromettre leurs autres marchés dans le monde. Si le prix imposé ne permet pas d’amortir les coûts des années de recherche, ou s’il s’avère injustifiable par rapport aux tarifs du même produit ailleurs sur Terre, il ne reste à ces laboratoires étrangers, que l’option de retirer le produit du marché chinois.

L’étape suivante, alludée dans le livre, est déjà visible. En réduisant les profits des groupes pharmaceutiques à la portion congrue, l’État compromet leur capacité à financer la recherche de produits nouveaux à haute performance, ce qui, de son propre point de vue, est également dommageable. Par rétorsion ou simple réflexe de survie de la concurrence, le médicament chinois se voit de plus en plus bloqué hors du pays. Et ces laboratoires chinois, aujourd’hui puissants mais affamés, guignent les gras et généreux marchés d’Europe et d’Amérique. Tôt ou tard, il va falloir s’entendre : en matière de santé, la loi de l’offre et de la demande a ses limites. La guerre des prix, la préférence nationale à tout prix ne peuvent avoir qu’un temps.

Par Eric Meyer

« Fundamentals of market access for pharmaceuticals », par Eric Bouteiller et Annie Chicoye, Anthem Press, 2024

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