LE VENT DE LA CHINE

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Liu Yifan : Suivre le crabe et parvenir à l’harmonie (2ème partie)

Liu Yifan

Résumé de la 1ère partie: Dix ans après son départ pour la Norvège, Wang Chenghui est de retour dans son village natal, suscitant curiosité et nostalgie. Parmi les villageois, Liu Yifan, son amie d’enfance, se remémore une étrange prédiction liée à un crabe, alors que les retrouvailles ravivent souvenirs et espoirs.

Après quelques semaines à se côtoyer, loin d’être indifférent, Wang Chenghui doute pourtant : Yifan n’a jamais quitté sa province, comment s’adaptera-t-elle au froid et la nuit de Tromso ? Se connaissent-ils suffisamment ? Échaudé par un mariage éclair et un divorce qui le fût tout autant, Wang Chenghui ne veut plus de disputes, de critiques, de reproches. Il savoure sa liberté retrouvée, ne veut pas causer le malheur de Yifan et refuse qu’elle parte avec lui. Une fois Chenghui reparti pour Tromso, Yifan ne s’avoue pas vaincue. De retour à son bureau, elle pose sa démission, vide son studio, écrit une longue lettre à ses parents et décolle pour la Norvège.

Estomaqué par tant de détermination, Wang Chenghui se laisse emporter par ses sentiments, l’épouse très vite. Il lui propose de travailler ensemble au restaurant mais elle refuse. Fine mouche, elle a compris son besoin d’être autonome. Gérer ensemble le restaurant signerait l’échec de leur mariage. Et puis, il n’est pas dit qu’elle dépende de lui pour gagner sa vie. Sans traîner, elle trouve un emploi de serveuse dans un hôtel, vite promue réceptionniste quand le gérant se rend compte de son excellent niveau d’anglais. Liu Yifan s’acclimate, souhaiterait maintenant un enfant, elle vient d’avoir trente ans. Mais Wang Chenghui tergiverse. Le fantôme de son divorce plane encore, il trouve que tout va trop vite, s’inquiète pour l’avenir. S’il connaît bien la Norvège pour y vivre depuis presque vingt ans, qu’en est-il pour Yifan ? Si un enfant naît, ne va-t-elle pas tout d’un coup regretter le climat humide et chaud de leur province natale, ou céder devant les plaintes de ses parents frustrés de ne pas voir grandir leur petit-enfant ? Et puis, élever un enfant coûte de l’argent, beaucoup d’argent en Norvège, est-ce bien raisonnable ?

Les mois passent et Yifan ne sait plus comment persuader son mari de son amour pour lui. Un soir, n’y tenant plus, elle lui demande :

– Quelle est la chose la plus difficile que tu aies vécu ?

Il répond sans hésiter :

– La pêche au crabe royal. Il n’existe rien de plus difficile que cette saison de pêche au crabe. Si tu survis à cela, tu peux faire face à tout le reste.

Toujours le crabe, pense Liu Yifan et la réponse de Chenghui confirme son plan d’action.

Sans rien lui dire, elle signe un contrat avec un bateau norvégien pour la prochaine saison de pêche au crabe, trois mois sans toucher terre dans les eaux glaciales et tumultueuses de l’océan Arctique, sur le pont sept jours par semaine, par roulement de douze heures consécutives par jour. Quand il est informé du projet, Wang Chenghui est abasourdi : mais pourquoi ?

– Une preuve d’amour peut-être, et de quoi gagner le droit d’avoir un enfant ? Quand je rentrerai, j’espère que tu ne verras plus aucun obstacle à fonder une famille avec moi ?

Et la courageuse et opiniâtre Yifan embarque. Le bateau fonctionne 24 heures par jour, sept jours sur sept. En quinze jours de travail, l’équipage de trente personnes s’occupe de 200 tonnes de crabes : triage, coupe et emballage sous des températures polaires. Peu de femmes dans l’équipe, elle est la première femme chinoise à monter sur ce bateau, lui confirme un membre d’équipage expérimenté. Dans les cabines vétustes situées à l’avant du navire, ça tangue énormément, Yifan dort dans un espace exigu avec trois autres personnes, les fuites sont colmatées avec de la mousse de polyuréthane. Les repas sont frugaux, rarement chauds, parfois il faut sauter le petit-déjeuner ou le déjeuner pour relever les filets. Une semaine après avoir embarqué, Yifan se luxe un doigt mais aucun médicament pour la soulager à bord, elle doit continuer son travail comme si de rien n’était.

Son responsable d’équipe enchaîne les remarques racistes, l’appelle « la Chinoise », lui colle des heures supplémentaires en l’accusant de relâchement ou de bâcler son travail. Yifan encaisse en pensant à Chenghui, au fils qu’elle attendra bientôt. Un matin, ce responsable la pousse tellement à bout qu’elle lui balance un crabe à la figure en hurlant qu’elle fait son travail et que les caméras de surveillance pourront le prouver. Le harcèlement cesse immédiatement. Au bout de trois mois, les jambes couvertes de bleus, ivre de fatigue, les traits émaciés mais avec près de 400 000 yuans en poche, Yifan tombe dans les bras de Chenghui venu l’accueillir, très fier de son épouse et surtout très ému.

En le suivant en Norvège puis en embarquant sur ce bateau, Yifan a montré sa détermination à tout sacrifier pour obtenir satisfaction (破釜沉舟, pò fǔ chén zhōu, briser les marmites et couler le bateau). Heureusement, le bateau n’a pas coulé et elle se tient là devant l’homme qu’elle aime. Le temps n’est plus au crabe (蟹), chuchote-t-elle à son mari, mais à la quiétude et l’harmonie (协)… ce qui se prononce de la même façon, « xie » !

Par Marie-Astrid Prache

NDLR: Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article raconte l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors du commun, inspirée de faits rééls.

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