LE VENT DE LA CHINE

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Liu Yifan : Suivre le crabe et parvenir à l’harmonie (1ère partie)

Liu Yifan

Dans le restaurant de hot-pot du village, un attroupement s’est formé autour de lui. Musclé, plutôt grand, les traits burinés et le visage hâlé, Wang Chenghui fait sensation. Parti en Norvège il y a dix ans pour travailler une saison sur un bateau de pêche, il n’est jamais revenu. Sa mère n’a manqué de rien, il y veillait de loin. Elle se lamentait de son absence et montrait à qui le voulait les photos de son fils emmitouflé dans une doudoune sur un pont de bateau, la mer déchaînée en arrière-fond, ou une toque sur la tête dans les cuisines d’un énorme bateau de croisière.

À l’autre bout de la table, Liu Yifan observe Wang Chenghui de loin. Elle le connaît depuis l’enfance, leurs familles sont voisines et le frère aîné de Yifan a l’âge de Chenghui. Ce dernier avait toujours eu la bougeotte et une curiosité insatiable pour les pays lointains. Après plusieurs saisons sur des navires de pêche norvégiens, il a embarqué comme cuistot sur les immenses paquebots de croisière qui sillonnent les sites incontournables de l’Arctique. Un petit pactole en poche, il a ouvert il y a quelques années un restaurant chinois dans la banlieue de Tromso, la ville la plus septentrionale du monde.

Liu Yifan non plus n’habite plus au village. Elle y passe de temps en temps pour voir ses parents puis retourne en ville où elle travaille dans une entreprise publique. Un emploi stable, un bon salaire, un studio. Le seul hic ? À plus de 25 ans, elle n’est toujours pas mariée. Ses parents supplient, menacent, brûlent de l’encens, organisent des rendez-vous mais Yifan tient bon, elle se mariera par amour.

Il y a dix ans, après le départ de Chenghui, une vieille femme avait séjourné au village. Personne ne savait très bien d’où elle venait, un peu chamane, un peu clocharde, tout le monde se méfiait d’elle sauf Yifan qui adorait écouter ses histoires. Au moment de partir, la vieille s’était penchée vers l’adolescente pour lui glisser à l’oreille qu’elle devait toujours suivre son cœur et rester attentive au crabe.

Au crabe ? À part sur la table du Nouvel An, et encore pas chaque année tant c’était un mets rare et cher, Liu Yifan n’en voyait pas tellement s’agiter autour d’elle. Quant à suivre son cœur, il s’était arrêté devant Wang Chenghui et son intrépidité, Wang Chenghui et ses histoires lointaines, que faire maintenant qu’il était parti ? Si le crabe était un symbole de réussite aux examens, peut-être devait-elle poursuivre ses études ? Douée en classe, elle batailla pour continuer jusqu’au gāokǎo ( 高考, équivalent chinois du baccalauréat) et trouva un travail sérieux. Mais, au sein de son entreprise, le prince charmant en costume-cravate se faisait attendre et le visage de Wang Chenghui ne s’effaçait pas.

Quelques années plus tard, quand un officiel local eut l’idée de développer dans son village natal un élevage de crabes poilus, Liu Yifan repensa aux propos de la vieille excentrique : allaient-ils s’éclairer à l’aune de cette nouvelle activité ? L’excellente qualité de l’eau des sources qui alimentaient le village donnait à cette idée un crédit certain et tout le monde s’enthousiasma pour le projet, la famille Liu y compris. Des larves de crabes venant du lac Yangcheng (la Rolls Royce mondiale du crabe d’eau-douce) furent introduites dans les rizières. Les premiers crabes arrivés à maturation tinrent toutes leurs promesses, amenant le village à doubler sa production l’année suivante pour alimenter Shanghai et Hong Kong. Dès qu’elle le pouvait, Yifan rentrait chez elle donner un coup de main mais aucun prétendant n’émergea non plus des rizières. Le crabe poilu faisait la prospérité du village mais ne comblait pas son cœur à elle. Sa voisine, la mère de Chenghui, lui apprit le mariage de celui-ci avec une Chinoise habitant Tromso, puis son divorce avant même qu’il puisse rentrer chez lui la présenter à sa mère.

Deux ans plus tard, voici Yifan à cette table de hot-pot, près de Chenghui qu’elle n’a pas revu depuis son départ. Il est rentré pour enterrer sa mère et vider la maison. Yifan de son côté, est venue passer les festivités du Nouvel An avec sa famille. Attablé, Chenghui parle, répond aux questions. Bien que vieilli, elle lui trouve toujours autant de charme. Le voici qui raconte ses saisons de pêche en Arctique, flétan, harengs, mais aussi crabe royal. Crabe, il a bien dit crabe ?

Mais alors, les planètes s’aligneraient-elles enfin avec la prophétie de la vieille ? Chenghui s’intéressera-t-il à elle ? Vous le saurez dans le prochain épisode!

Par Marie-Astrid Prache

NDLR: Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article raconte l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors du commun, inspirée de faits rééls.

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