Cela faisait cinq ans que le Président chinois n’avait plus mis les pieds en Europe. Or, depuis sa dernière visite en mars 2019, les choses ont bien changé. La pandémie de Covid-19, mais aussi la loi de sécurité nationale à Hong Kong ainsi que la répression de la minorité Ouïgoure au Xinjiang ont contribué à la détérioration de l’image de la Chine dans bon nombre de pays européens, au même titre que la posture « combattante » des diplomates chinois.
Au plan géopolitique, l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en 2021 a permis davantage d’alignement entre les positions européennes et américaines (voire japonaises) tandis que l’Italie et plusieurs pays d’Europe Centrale et de l’Est se sont désengagés des « nouvelles routes de la soie », déçus des promesses d’investissement non tenues par Pékin. Mais ce n’est rien à côté de la déception causée par le « partenariat sans limite » scellé avec Moscou en 2022 et l’absence de condamnation de Pékin de la guerre en Ukraine.
A Bruxelles, l’Union Européenne a formulé une nouvelle approche vis-à-vis de la Chine, la percevant à la fois comme « un partenaire, un compétiteur et un rival systémique », et suspendu le traité sur les investissements (CAI) qu’elle avait pourtant mis 7 ans à négocier avec Pékin. L’UE s’est également dotée d’un véritable arsenal anti-coercition (imposition de droits de douane et de licences d’importation, interdiction de participer aux marchés publics etc…) qu’elle se dit prête à déployer contre tout État tiers qui voudrait soumettre l’un de ses membres à une pression économique. Comme pour montrer qu’elle est (enfin) prête à défendre ses intérêts, la Commission Européenne a ouvert ces dernières semaines plusieurs enquêtes sur les véhicules électriques, les panneaux solaires et les turbines éoliennes en provenance de Chine, ainsi que sur la réciprocité dans l’ouverture des marchés publics. Un durcissement qui n’est peut-être pas étranger à la tenue des élections européennes début juin.
C’est donc avec cette nouvelle réalité européenne que Xi devra composer lors de sa tournée sur le vieux continent qui débutera par la France, du 5 au 7 mai, puis la Serbie, et enfin, la Hongrie, du 8 au 10 mai. Ce voyage est censé faire oublier les tensions géopolitiques avec les Etats-Unis et prouver que la Chine a encore des alliés en Europe.
A chaque étape, son objectif : en France, Xi souhaite démontrer que la Chine est un membre pleinement intégré de la communauté internationale et a des amis au sein du G7. En Serbie, il commémorera le 25ème anniversaire du bombardement par l’OTAN de l’ambassade chinoise à Belgrade, manière indirecte de blâmer l’organisation de défense transatlantique et les Etats-Unis pour la guerre en Ukraine. Enfin, en Hongrie (souvent qualifiée de « cheval de Troie » de Pékin au sein de l’UE), Xi soulignera les avantages de l’engagement économique avec la Chine. C’est en effet dans le pays de Viktor Orban que le n°1 de l’automobile électrique BYD, le géant des télécoms Huawei et le leader mondial de la batterie CATL, se sont implantés, bientôt suivis par le constructeur automobile Great Wall Motor.
Si le Président chinois est assuré de se voir dérouler le tapis rouge à Belgrade et Budapest, qu’en sera-t-il à Paris ? La France et la Chine célèbrent le 60ème anniversaire de leurs relations diplomatiques cette année. Toutefois, l’ambiance sera nettement moins festive que lors du 50ème anniversaire qui avait donné lieu à la signature de 50 contrats commerciaux en 2014. Xi Jinping était par ailleurs attendu au tournant par les médias français : il n’avait pas encore posé le pied dans l’Hexagone que Radio France publiait un podcast très étoffé sur le parcours du n°1 chinois, tandis que le magazine « Envoyé Spécial » diffusait une enquête sur l’existence de commissariats clandestins de la PRC sur le sol français.
Cela n’empêchera pas l’Elysée de réserver au leader chinois un accueil digne de ce nom, à l’image de celui réservé à Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine en avril 2023. Xi Jinping avait en effet invité son homologue français à découvrir l’ancienne résidence du gouverneur du Guangdong, où il avait passé du temps avec son père dans son enfance. Le Président Macron devrait lui rendre la pareille, amenant le leader chinois dans les Hautes Pyrénées, là où il avait l’habitude de rendre visite à sa grand-mère.
Le dirigeant français compte sur cette séquence plus personnelle pour exposer sa vision de la situation en Ukraine et convaincre Xi d’abandonner son soutien économique et militaire à la Russie. Les chances de réussite sont minces : s’il était essentiel pour Pékin de maintenir des relations de qualité avec les Européens, la Chine aurait adopté une autre posture que cette neutralité de façade vis-à-vis de la guerre en Ukraine. L’objectif serait donc de rendre plus difficile pour Pékin de ménager la chèvre (sa relation stratégique avec la Russie) et le chou (ses échanges économiques avec l’Europe).
En effet, l’autre dossier brûlant de cette rencontre sera l’enquête ouverte par Bruxelles sur les subventions accordées par le gouvernement chinois aux producteurs de véhicules électriques.Il sera probablement abordé en présence de la présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen, invitée à prendre part aux discussions à Paris. Sa participation n’est pas surprenante, c’est même une marque de fabrique d’Emmanuel Macron, qui invite systématiquement un autre dirigeant européen à chacune de ses rencontres avec le Président chinois, de manière à afficher un front européen uni. Sauf que cette fois encore, l’absence de Olaf Scholz, qui s’est rendu en Chine le mois dernier, saute aux yeux…
Mais rentrons dans le vif du sujet : selon un récente estimation du groupe Rhodium, l’UE devrait imposer des droits de douanes de 50% (au lieu de 10% actuellement) si elle veut réduire les importations de véhicules électriques en provenance de Chine. Or, aux dernières nouvelles, les Chinois n’étaient prêts à accepter que 20% de taxes… Le bras de fer ne fait donc que commencer.
Alors que Paris prône davantage de fermeté de la part de Bruxelles, Emmanuel Macron devrait se montrer beaucoup plus conciliant sur les sujets bilatéraux pour éviter de s’attirer les foudres de Pékin, qui a déjà ouvert une enquête anti-dumping visant le cognac en guise d’avertissement.
Paradoxalement peut-être, Macron plaide pour accueillir davantage d’investissements chinois dans l’Hexagone, particulièrement dans le secteur des batteries électriques. Il compte aussi beaucoup sur le partenaire chinois pour avancer sur les grandes questions climatiques.
Même si la France joue double jeu, la Chine continue de la caresser dans le sens du poil, en faisant régulièrement l’éloge de « l’autonomie stratégique » si chère à Emmanuel Macron. Car, il faut le rappeler, la France, et plus globalement l’UE, n’est perçue au final par Pékin que comme un élément mineur dans le prisme de la rivalité sino-américaine. Mais cela pourra-t-il durer en cas de nouveau conflit commercial avec Bruxelles ? C’est toute la question.