LE VENT DE LA CHINE

LE VENT DE LA CHINE

ACTUALITÉS

Le « Canossa » des dirigeants européens à Pékin

La visite de Macron en Chine a surtout été symbolique : accueil fastueux mais peu de résultats concrets. Commerce, Ukraine, droits de l’homme ou Taïwan restent bloqués, Pékin fixant ses priorités.
Salutations au président français

Les attentes autour de la quatrième visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine étaient déjà modestes. Elles le sont apparues plus encore au regard des résultats obtenus.

Après le roi d’Espagne, et avant le chancelier allemand, Friedrich Merz, et le premier ministre britannique, Keir Starmer, attendus début 2026, le président français s’est rendu en Chine du 3 au 5 décembre pour un déplacement qui ressemble davantage à un exercice de « diplomatie performative » qu’à une stratégie collective européenne.

Car cette succession de visites bilatérales, sans coordination, ne peut conduire qu’à l’échec, du fait de la différence d’échelles démographique, économique et technologique entre n’importe quel pays européen pris isolément et la Chine dans son ensemble.

Pékin joue d’ailleurs à dessein la division en marginalisant l’Union européenne (UE). Le fiasco du sommet Chine-UE de juillet dernier, à Pékin, a prouvé que, même collectivement, l’UE peine à peser face à une Chine qui ne cherche plus vraiment le compromis. Or il semble évident que c’est bien à 27 que l’Europe pourrait se faire entendre.

En 2000, l’UE était six fois plus importante que la Chine en termes de PIB. Vingt-cinq ans plus tard, la Chine est désormais son égal économique, représentant 13 % du commerce international et 27 % de la production industrielle mondiale. L’UE demeure une puissance majeure — 14 % du commerce mondial des biens, 23 % des services — mais la balance commerciale bilatérale est éloquente : en 2024, Bruxelles a exporté 213 milliards d’euros vers la Chine et en a importé 517. Déficit : 304 milliards.

Ce déséquilibre révèle certes une forte dépendance européenne, mais aussi une fragilité chinoise : une économie qui veut tout exporter et presque rien importer finit par menacer le système dont elle vit. Or la Chine de 2025 ne semble plus loin de considérer, comme celle de 1792, que « l’Empire céleste possède tout en abondance et ne manque d’aucun produit à l’intérieur de ses frontières [et qu’il] n’est donc nul besoin d’importer les produits manufacturés des barbares étrangers » (lettre de l’empereur Qianlong à George III).

Face à cette asymétrie, certains en Europe, comme Nicolas Dufourcq (Bpifrance), plaident pour une fermeture partielle. Mais le problème de l’Europe est qu’elle est la seule grande puissance à vouloir encore appliquer les règles du libéralisme que plus personne ne respecte — ni la Chine, qui les contourne en aval par les subventions étatiques, ni les États-Unis, qui les contournent en amont via les taxes douanières.

Dans ces conditions structurelles, la marge de manœuvre de la France en Chine est extrêmement limitée. Si les attentes par rapport à la visite de Macron étaient faibles et si ses résultats le sont plus encore, c’est pour toute une série de facteurs que la « diplomatie du panda » ne peut cacher. Les points de divergence sont si grands que, sans être un dialogue de sourds, celui qu’on voudrait esquisser entre les dirigeants politiques de l’Hexagone et ceux de l’empire du Milieu relève davantage de la conversation entre malentendants.

Macron s’est rendu en Chine pour rééquilibrer un déséquilibre commercial qui a plus que doublé en dix ans (d’environ 20 milliards en 2014 à 47 milliards en 2024) : un déséquilibre dû à un soutien d’État à perte à certains secteurs stratégiques clés au sein d’une économie nationale livrée par ailleurs à la concurrence capitalistique la plus acharnée.

Pékin répond invariablement qu’il n’y a pas de surcapacités, que si les Français achètent chinois c’est qu’ils ne produisent pas assez, et qu’il leur appartient de « monter en gamme ». Que Paris rappelle avoir contribué à l’essor chinois pendant quarante ans via les transferts de technologie imposés dans les joint-ventures n’y change rien : la réciprocité n’est pas à l’ordre du jour. La « vengeance post-coloniale » est un plat qui se mange froid.

Autre objectif français : infléchir la position chinoise sur la guerre en Ukraine. Là encore, impasse. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore remarqué, la Chine est le principal allié de Moscou depuis 2022. Pékin répond donc qu’elle aussi veut la paix, sous-entendu : l’Ukraine n’a qu’à déposer les armes. Dans la vision chinoise, un monde pacifique est un monde où les faibles acceptent le joug des forts ; la guerre est la conséquence de leur résistance « au cours nécessaire de l’Histoire ». Quant à l’aide technologique apportée à la machine de guerre russe, Xi Jinping rétorque fermement s’opposer « aux accusations sans fondement ou discriminatoires ».

Ne parlons même pas des droits de l’homme, de la situation des minorités dans le Xinjiang et au Tibet, de la suppression de l’État de droit à Hong Kong, voire de la répression contre l’Église catholique ou même des ressortissants embastillés arbitrairement — car, de toute manière, plus personne n’en parle

Les seuls sujets où un dialogue aurait pu être plus constructif sont la gouvernance mondiale et l’environnement. Mais la Chine cherche surtout à renforcer son influence dans les institutions internationales en jouant sur la sensibilité anti-trumpienne européenne. Et sur le climat, Pékin entend conserver sa domination sur les énergies renouvelables (panneaux solaires, éoliennes, nucléaire) tout en refusant, comme lors de la COP 30, toute obligation de sortie des fossiles ou toute tarification stricte du carbone.

À vrai dire, le seul élément réellement positif de cette visite tient peut-être à ce qui n’a pas été abordé : à savoir Taïwan, le Japon ou la mer de Chine méridionale. Et c’est peut-être pour cette raison-là que rien ou presque n’a été obtenu.

Pour un dirigeant européen, aujourd’hui, aller en Chine ressemble à un pèlerinage à Canossa : soit l’on fait pénitence de notre passé colonial, de notre relation aux États-Unis, en avouant que notre système démocratique est dépassé, et en acceptant de dire que le Japon est un État militariste et Taïwan une province renégate, soit l’on repart les mains vides. Dans ce cas, ne rien obtenir de la Chine est peut-être, au fond, une démonstration de courage…

Par Jean-Yves Heurtebise

Profil de l’auteur
Commentaires
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.singularReviewCountLabel }}
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.pluralReviewCountLabel }}
{{ options.labels.newReviewButton }}
{{ userData.canReview.message }}
Le « Canossa » des dirigeants européens à Pékin
Table des matières
Partager
Twitter
LinkedIn
Découvrez tous contenu du ​
Liu Beihong, joueur et irresponsable, revient fauché après deux mois d’errance. Sa femme Baohua, exaspérée, l’emmène au commissariat pour se plaindre.
À Shenzhen, le salon Connexion Shenzhen présente les dernières innovations de l’industrie de la restauration, tandis qu’à Shanghai, ARTS expose les technologies avancées pour le transport ferroviaire.
La Chine considère depuis des décennies toute mobilisation citoyenne comme une menace et contrôle strictement le récit.
Du 3 au 5 décembre, Emmanuel Macron a conduit des patrons français en Chine pour renforcer les partenariats économiques et technologiques.
La visite de Macron en Chine a été accueillie avec faste, mais reste surtout symbolique. Pékin a limité ses engagements sur l’Ukraine et l’économie, et peu de contrats industriels majeurs ont été signés.
La visite de Macron en Chine a surtout été symbolique : accueil fastueux mais peu de résultats concrets. Commerce, Ukraine, droits de l’homme ou Taïwan restent bloqués, Pékin fixant ses priorités.
À Shanghai, la course aux subventions pour les voitures électriques bat son plein. Mais derrière la photo de famille postée sur WeChat et le SUV flambant neuf, la réalité économique rattrape vite M

LE VENT
DE LA CHINE

LE VENT
DE LA CHINE

Le Vent de la Chine est une newsletter hebdomadaire d’analyse de l’actualité économique, politique, et sociétale – réputée pour son sérieux et son analyse de qualité auprès des professionnels depuis 1996. Le Vent de la Chine est un produit de China Trade Winds Ltd. qui propose également des conférences et des études sur demande.