LE VENT DE LA CHINE

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Le bambou, bouc-émissaire du brasier de Tai Po ?

Le 26 novembre, un incendie à Wang Fuk Court, Hong Kong, a tué 146 personnes. Les échafaudages en bambou, les filets inflammables et l’absence d’alarme ont aggravé le sinistre. Huit responsables ont été arrêtés, et des inspections lancées.
Plusieurs pompiers en Chine

Les images ont fait le tour du monde : d’immenses tours dévorées par les flammes, sous les yeux impuissants des riverains. L’après-midi du 26 novembre, un incendie d’une rare violence a ravagé le complexe résidentiel Wang Fuk Court, un ensemble de logements subventionnés, dans le district de Tai Po à Hong Kong. Après la fin des opérations de secours trois jours plus tard, les autorités ont confirmé un bilan provisoire de 146 morts, parmi les 4 600 résidents du complexe, le plus lourd depuis 60 ans. Le chiffre pourrait encore augmenter, alors que plusieurs personnes restent portées disparues.

Très vite, l’attention s’est portée sur un suspect familier : les échafaudages en bambou qui enveloppaient les tours en rénovation. Légers, flexibles et peu coûteux, ces échafaudages sont typiques des chantiers hongkongais. Il s’adapte aux rues étroites et aux façades irrégulières d’une ville dense et verticale. Mais si leur présence a contribué à la propagation du feu, l’enquête révèle un tableau plus complexe : un enchaînement de décisions hasardeuses et de négligences humaines, transformant le chantier en piège mortel.

Les filets de protection verts recouvrant les échafaudages se sont révélés particulièrement inflammables et auraient pris feu en premier, servant de mèche géante. Les spécialistes évoquent un véritable « effet cheminée ». Le feu qui démarre en bas s’enflamme au contact des filets plastiques, grimpe le long de la structure externe, atteint les étages supérieurs, tandis que les tiges de bambou, à leur tour, s’embrasent. Des éléments brûlants tombent ensuite en contrebas, allumant de nouveaux foyers. Une mécanique infernale, rendue possible non par le bambou seul, mais par la combinaison de matériaux hautement inflammables.

Mais le bambou et les filets ne sont qu’une partie du problème. Les enquêteurs se penchent désormais sur l’intérieur même des bâtiments, où des matériaux inflammables auraient permis au feu de pénétrer rapidement dans les appartements. Certaines fenêtres en rénovation avaient été calfeutrées avec des plaques de polystyrène, un matériau léger mais extrêmement combustible. Une fois exposé à la chaleur extérieure, le polystyrène se consume rapidement et dégage des fumées toxiques, ouvrant la voie au feu qui s’est engouffré étage après étage dans les logements. 

La défaillance totale des systèmes d’alarme a amplifié la catastrophe. Aucune sirène ne s’est déclenchée dans les tours touchées, privant les habitants de ce délai vital qui permet parfois de sauver des dizaines de vies. Beaucoup n’ont réalisé la gravité de la situation qu’en voyant la fumée s’infiltrer dans les couloirs ou en entendant les cris de leurs voisins. Les pompiers, appelés plus tardivement, ont dû affronter un brasier extérieur et intérieur simultané, une configuration parmi les plus difficiles à maîtriser.

Plusieurs témoins rapportent également que des déchets de chantier — parfois inflammables — s’entassaient sur les échafaudages et dans les couloirs. D’autres évoquent la présence de mégots de cigarettes, susceptibles d’avoir déclenché le premier départ de feu. Si cette hypothèse se confirme, le sinistre serait lié non pas à une fatalité technique, mais à un geste humain mal contrôlé dans un environnement parfaitement inflammable.

Alors que l’enquête se concentre sur les matériaux utilisés, des arrestations ont déjà eu lieu : huit responsables du chantier ont été interpellés pour négligence grave et corruption. Le gouvernement local, soumis à une forte pression publique, a annoncé une vague d’inspections sur tous les chantiers en cours dans la métropole.

La question de l’abandon du bambou revient dans le débat public. Sur les réseaux sociaux chinois, la polémique enfle : « Pourquoi Hong Kong utilise encore des échafaudages en bambou ? », alors que ce matériau est interdit en Chine continentale depuis 2022. La transition vers les échafaudages métalliques était toutefois déjà en cours : en mars, les autorités avaient décidé que la moitié des installations devrait utiliser des structures métalliques pour renforcer la sécurité des travailleurs.

Les experts appellent néanmoins à ne pas se focaliser sur ce seul aspect. Pour eux, la priorité doit être la réglementation des matériaux utilisés autour et à l’intérieur des chantiers — bâches, filets, mousses, colmatages — ainsi que le contrôle effectif des dispositifs de sécurité. Dans une ville où chaque mètre carré compte, et les pressions économiques fortes, les économies sur des matériaux ou des systèmes de sécurité peuvent se révéler fatales.

À Hong Kong, le drame a provoqué une émotion profonde et contrastée. Tristesse et solidarité se mêlent à un sentiment de colère contre les responsables présumés. Certains habitants accusent les autorités de vouloir détourner l’attention : en focalisant le discours officiel sur la dangerosité du bambou, le chef de l’exécutif John Lee éluderait les véritables causes du drame, laissant volontairement dans l’ombre les appels d’offres douteux, les matériaux défectueux et les contrôles défaillants.

De fait, des résidents auraient déjà tenté d’alerter sur la mauvaise qualité des filets de protection. Mais leurs plaintes répétées, sans relais médiatique ni politique depuis la reprise en main de Pékin, n’ont malheureusement jamais été entendues… Voilà la raison pour laquelle la rhétorique gouvernementale glisse déjà vers le registre de la sécurité nationale, signal qu’une contestation trop bruyante pourrait être interprétée comme une menace. Pékin a déjà menacé d’appliquer la loi de sécurité nationale contre toute manifestation jugée « anti‑Chine ». Or, tant que les responsables chercheront un bouc-émissaire plutôt que la vérité, la ville restera vulnérable — et ses habitants, en première ligne. 

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