LE VENT DE LA CHINE

LE VENT DE LA CHINE

ACTUALITÉS

Pourquoi Starbucks abandonne le contrôle de sa filiale chinoise

Starbucks cède 60 % de sa filiale chinoise à Boyu Capital pour mieux s’adapter à un marché ultra-concurrentiel dominé par Luckin et Cotti.
Magasin Starbucks

25 ans après avoir ouvert son premier café à Pékin, Starbucks (星巴克) est contraint de revoir sa recette en Chine. Le 3 novembre, le groupe a annoncé céder 60 % de sa filiale locale à Boyu Capital — un signal fort que le géant américain ne peut plus tenir seul la cadence sur son deuxième marché mondial. Non, Starbucks ne quitte pas la Chine : il s’aligne sur un marché devenu trop rapide, trop fragmenté et trop concurrentiel pour être piloté depuis Seattle.

Boyu Capital, fonds d’investissement influent et solidement ancré dans les cercles économiques chinois, joue un rôle clé dans cette réorientation. Cofondé par Alvin Jiang, petit-fils de l’ancien président Jiang Zemin, ce fonds s’est illustré par des investissements dans des poids lourds comme Alibaba ou le fabricant de batteries CATL, ainsi que par la détention d’actifs emblématiques tels que le luxueux centre commercial SKP à Pékin. Boyu n’apporte pas seulement des capitaux : il fournit à Starbucks une implantation locale, une capacité d’exécution rapide et une lecture fine du terrain — trois leviers devenus déterminants.

L’opération, assortie d’un apport de 4 milliards de $, valorise Starbucks Chine à plus de 13 milliards. Dans la nouvelle coentreprise, Starbucks conserve 40 % du capital, tandis que Boyu prend le contrôle.

Ce réalignement était devenu inévitable. Starbucks affronte désormais la puissance combinée de Luckin Coffee et Cotti, les deux enseignes locales qui dominent le marché grâce à un modèle radicalement différent : prix trois fois inférieurs, livraisons express, innovations ultra-fréquentes, saveurs locales et intégration complète avec les super-apps chinoises. La perte de vitesse de Starbucks est spectaculaire : selon Euromonitor, en 2017, le leader américain détenait 42 % du marché, contre seulement 14 % aujourd’hui. Luckin occupe désormais 35 %, Cotti 12 %.

Il faut dire que les habitudes de consommation se sont métamorphosées. Le marché chinois du café est désormais tiré par les commandes à emporter. Les boutiques premium avec places assises — longtemps l’ADN de Starbucks — voient leur fréquentation ralentir, au profit de points de vente minuscules, sans sièges, optimisés pour les livraisons et les retraits rapides. La valeur n’est plus dans l’ambiance, mais dans la vitesse, le prix et la praticité. Luckin et Cotti l’ont parfaitement compris.

Le prix est désormais la première variable dans les décisions d’achat. Directement impactés par le ralentissement économique post-Covid, les consommateurs chinois se montrent plus regardants à la dépense. Les marques premium doivent désormais justifier chaque yuan. Ce virage profite aux enseignes positionnées sur l’accessibilité — un terrain où Luckin excelle. Le phénomène dépasse largement le café : il touche la restauration, la cosmétique, la mode, l’électronique. Mais Starbucks, symbole du consommateur urbain aisé, en subit directement les conséquences.

Cette nouvelle dynamique se lit aussi dans les chiffres. Entre 2019 et 2024, les revenus de Starbucks en Chine ont stagné, oscillant entre 2,6 et 3,6 milliards de $, alors même que l’industrie locale connaissait une croissance explosive. En 2024, l’enseigne a même dû procéder à une baisse généralisée de ses prix — une première — symbole d’un repositionnement que la marque n’aurait jamais envisagé dix ans plus tôt.

Pour continuer de croître, Starbucks sait aussi que son expansion passera désormais par les villes de rang inférieur, où se concentre l’essentiel du réseau Luckin et Cotti. L’enseigne devrait également multiplier les formats simplifiés : kiosques express, micro-points de retrait, magasins orientés livraison, parfois sans barista. Des tests pilotes existent déjà à Shanghai et Chengdu. L’ambition demeure intacte : Starbucks exploite aujourd’hui près de 8 000 boutiques dans le pays et vise toujours, à long terme, les 20 000 points de vente.

Pour Wang Yanxing, chercheur au Chongyang Institute for Financial Studies de l’université Renmin (Pékin), Starbucks « libère un goulot d’étranglement structurel » en laissant les rênes à Boyu. La structure précédente, pilotée depuis les États-Unis, freinait l’entreprise : impossible d’ajuster rapidement les prix, de multiplier les concepts express ou de lancer des produits spécifiquement conçus pour le consommateur chinois. La marque conserve cependant ses éléments stratégiques — royalties, identité, standards — tout en gagnant l’agilité indispensable pour survivre dans un marché devenu hyper-réactif.

Au-delà du cas Starbucks, cette opération illustre un mouvement plus large. De plus en plus de multinationales admettent que le modèle “100 % filiale étrangère”, géré depuis l’Occident, n’est plus adapté aux réalités d’un marché chinois à la fois ultraconcurrentiel et extrêmement localisé. Ce n’est plus la joint-venture imposée des années 1980 : c’est désormais une joint-venture choisie, utilisée comme un levier stratégique pour regagner du terrain.

Starbucks n’est donc pas un cas isolé. D’autres groupes sont arrivés à la même conclusion. Burger King a annoncé le 10 novembre céder 83 % de sa filiale chinoise à un fonds local pour dynamiser son expansion. Decathlon envisagerait lui aussi, selon Bloomberg, de céder environ 30 % du capital de sa filiale chinoise. Pour ces multinationales, la question n’est plus de rester ou de partir, mais de savoir quel est le meilleur moyen de rester pertinentes dans le marché le plus compétitif au monde.

Profil de l’auteur
Commentaires
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.singularReviewCountLabel }}
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.pluralReviewCountLabel }}
{{ options.labels.newReviewButton }}
{{ userData.canReview.message }}
Découvrez tous contenu du ​
Une fin d’année chargée en Chine avec une série de salons majeurs énergie, santé, mode, automobile, aviation, électronique ou encore gastronomie .
Deux chanteurs aveugles, Zheng Yurong et Yang Mingming, liés par une étrange complicité artistique, découvrent après un test ADN qu’ils sont en réalité frère et sœur.
Chine : compétition pour les puces IA, export solaire et voitures électriques pour la transition énergétique, et essor lucratif des technologies de longévité.
Starbucks cède 60 % de sa filiale chinoise à Boyu Capital pour mieux s’adapter à un marché ultra-concurrentiel dominé par Luckin et Cotti.
La Chine a mis en service son troisième porte-avions, le Fujian.
La Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, a alerté sur les risques d’une action militaire chinoise contre Taïwan, déclenchant une escalade verbale avec Pékin.

LE VENT
DE LA CHINE

LE VENT
DE LA CHINE

Le Vent de la Chine est une newsletter hebdomadaire d’analyse de l’actualité économique, politique, et sociétale – réputée pour son sérieux et son analyse de qualité auprès des professionnels depuis 1996. Le Vent de la Chine est un produit de China Trade Winds Ltd. qui propose également des conférences et des études sur demande.