LE VENT DE LA CHINE

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Mariage à la carte : la nouvelle vie à deux des jeunes Chinois 

En Chine, le recul historique du mariage pousse les jeunes à inventer de nouvelles unions pragmatiques, des « mariages de façade » aux partenariats d’entraide pour échapper aux pressions sociales.
Un couple qui se marie

Le nombre de mariages en Chine n’a jamais été aussi bas. Selon les dernières statistiques publiées par le ministère chinois des Affaires civiles, à peine 6,2 millions de couples se sont mariés en 2024 — un chiffre en chute libre depuis une décennie, et bien loin du pic de 13,5 millions enregistré en 2013. Derrière cette baisse spectaculaire se cache une transformation profonde des rapports amoureux, des attentes sociales et de la conception même du mariage.

Autrefois considéré comme une étape incontournable de la vie adulte, le mariage n’est plus une priorité pour les jeunes générations urbaines. Face à la pression économique, à la flambée du coût de la vie et à la difficulté de concilier carrière et famille, nombre de jeunes Chinois choisissent désormais d’autres formes de vie à deux — plus souples, plus égalitaires, et souvent affranchies des contraintes familiales.

Avant même l’apparition de ces nouvelles unions, la société chinoise avait déjà vu émerger divers arrangements entre couples homosexuels : les 形婚 (xínghūn), littéralement « mariages de forme ». Ces unions, dans lesquels l’homme homosexuel épousait la femme lesbienne, permettaient de sauver les apparences d’un mariage hétérosexuel pour satisfaire les attentes parentales, tout en laissant à chacun la liberté de vivre sa vie affective en dehors du cadre conjugal. Si ces « mariages de façade » ne sont pas une nouveauté, ils ont ouvert la voie à une redéfinition du mariage lui-même — non plus comme un devoir social, mais comme un contrat modulable selon les besoins et les désirs de chacun.

Cette logique contractuelle se retrouve aujourd’hui dans de nouvelles formes de cohabitation entre jeunes adultes. Parmi elles, les 搭子婚 (dāzi hūn), ou « mariages entre compagnons », rencontrent un succès croissant. Le principe est simple : deux personnes, souvent amis, décident de se marier pour partager les responsabilités matérielles et sociales d’un couple sans y ajouter la dimension romantique. Il ne s’agit pas d’un mariage d’amour, mais d’un mariage d’entraide — une alliance pragmatique face à la solitude, au coût de la vie et aux pressions familiales. Ces couples s’accordent sur la répartition des dépenses, la gestion du logement, et parfois même sur l’éducation éventuelle d’un enfant, tout en prévoyant la possibilité de « rompre le contrat » si la cohabitation devient insatisfaisante.

Une autre tendance récente, baptisée 搭子生活 (dāzi shēnghuó) — littéralement « vie avec un partenaire » — prolonge cette idée hors du cadre strictement conjugal. Dans les grandes villes, de nombreux jeunes choisissent de vivre ensemble ou de passer du temps avec un « partenaire de vie » sans engagement amoureux : repas, sorties, voyages, voire retraite pour ceux qui envisagent leur vieillesse entre amis plutôt qu’en couple. Ces relations, fluides et négociées, sont souvent perçues comme plus équilibrées que le mariage traditionnel, où les attentes de genre et la pression à la réussite familiale demeurent fortes.

Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans ce phénomène. Sur Xiaohongshu, des groupes se forment pour trouver un « dāzi », échanger des expériences ou même publier des contrats-types. Le ton est souvent léger, humoristique, mais derrière la dérision se devine une réalité plus sérieuse : la peur de l’isolement et le besoin de soutien mutuel dans une société hypercompétitive et vieillissante. Dans un contexte où les femmes sont de plus en plus éduquées et financièrement indépendantes, beaucoup rejettent l’idée d’un mariage perçu comme une contrainte sociale ou économique.

Naturellement, ce phénomène n’a rien pour plaire aux autorités. Pékin, confronté à une crise démographique sans précédent, encourage activement le mariage et la natalité, multipliant les incitations fiscales et les campagnes de propagande vantant les vertus de la famille traditionnelle. Mais ces messages semblent de moins en moins audibles, surtout auprès de jeunes urbains qui privilégient l’épanouissement personnel à la conformité, et refusent de se marier « par devoir ». Le mariage, autrefois garant de stabilité, est désormais perçu comme un risque et un poids — financier, émotionnel, voire existentiel.

Certains observateurs y voient une forme de libération : celle d’une génération qui, après des décennies de conformisme, se réapproprie le droit de définir ses propres relations. D’autres, plus pessimistes, y lisent le symptôme d’une société fragmentée où la méfiance, la fatigue et le désenchantement remplacent la solidarité et la foi dans l’avenir. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler celui de 躺平 (tǎngpíng), ces jeunes qui choisissent d’en faire le moins possible dans leur vie faute de confiance dans les lendemains.

Mais ces unions alternatives ne sont pas sans zones d’ombre. Faute de reconnaissance légale, les partenaires restent vulnérables : en cas de séparation, de maladie ou d’héritage, les droits de chacun sont difficiles à faire valoir. Certaines femmes dénoncent aussi une inégalité persistante dans ces « mariages d’entraide », où la charge domestique ou émotionnelle finit souvent par leur revenir. D’autres pointent le risque d’une instrumentalisation mutuelle : ces alliances reposent sur des accords fragiles, facilement rompus dès que les intérêts divergent…

Entre pragmatisme et désillusion, les xínghūn et dāzi hūn révèlent en tout cas une vérité : dans la Chine de 2025, le mariage, jusqu’à présent pilier millénaire de la société chinoise, n’est plus l’unique cadre du bonheur conjugal. Les jeunes générations lui substituent des relations plus libres, plus égalitaires et, souvent, plus sincères. Dans un pays où la stabilité et la conformité ont longtemps été des vertus cardinales, cette redéfinition du couple constitue une petite révolution. 

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