Derrière les portes closes de l’hôtel Jingxi, Pékin s’apprête à tenir son 4ᵉ plénum, qui rompt avec les conventions du Parti par son calendrier, son ordre du jour et l’ombre des purges qui l’entourent.
Ce rendez-vous de quatre jours, du 20 au 23 octobre, constitue l’événement politique le plus important de l’année en Chine, réunissant en principe un peu plus de 370 membres titulaires et suppléants du Comité central. Or, d’après les rumeurs, plusieurs dizaines de membres pourraient manquer à l’appel, et l’avenir des représentants issus de l’Armée populaire de libération (APL) paraît particulièrement préoccupant. Selon les calculs de l’Asia Society, 61 % d’entre eux (27 sur 44) feraient l’objet de mesures disciplinaires — une purge sans précédent dans les rangs supérieurs de l’armée. Cette faible participation ne devrait toutefois pas bouleverser l’équilibre politique du plénum. Elle illustre surtout l’accent que Xi Jinping met sur la « révolution interne » du Parti, censée le transformer en une organisation capable de gouverner le pays indéfiniment.
Ironie du calendrier, le 4ᵉ plénum est traditionnellement consacré aux questions de discipline et de gouvernance interne. Mais l’édition 2025 déroge à cette règle : elle sera principalement centrée sur la préparation du prochain plan quinquennal, couvrant la période 2026-2030.
Cette anomalie thématique s’explique par le report inédit, pendant près d’un an, du 3ᵉ plénum, organisé en juillet 2024 au lieu de l’automne 2023. Ce 4ᵉ plénum tardif reste néanmoins conforme à la Constitution du Parti, qui impose la tenue d’au moins une session annuelle — un vernis de régularité institutionnelle hérité des réformes post-Mao visant à stabiliser un système politique autrefois imprévisible. Cet épisode illustre surtout la priorité absolue que Xi Jinping accorde à la planification économique et stratégique, qu’il décrit comme « un avantage politique majeur du socialisme à caractéristiques chinoises ».
Preuve de son implication directe, Xi a personnellement supervisé la rédaction du 15ᵉ plan quinquennal. D’ailleurs, depuis qu’il est au pouvoir, les 5ᵉ plénums — ceux de 2015 et 2020 — se sont révélés plus déterminants pour l’économie que les 3ᵉ plénums, autrefois réputés pour initier les grandes réformes.
Pour mémoire, le 5ᵉ plénum de 2015 mettait en avant des réformes emblématiques : élargissement du système d’enregistrement des ménages urbains (hukou), abandon de la politique de l’enfant unique, création de grands programmes technologiques et de laboratoires nationaux, et transfert de la supervision environnementale locale à des agences centrales.
Celui de 2020 a marqué un tournant. Désormais affranchi de la limite de deux mandats, Xi disposait d’une liberté totale pour modeler le 14ᵉ plan quinquennal. Il en a profité pour introduire le concept de « double circulation », qui vise à s’appuyer davantage sur la demande et la production domestiques afin de bâtir un marché intérieur plus vaste et plus innovant — capable, en retour, d’accroître la dépendance des autres économies envers la Chine.
Entretemps, l’élection de Donald Trump avait fait basculer la politique américaine de l’engagement économique vers la confrontation stratégique : tarifs douaniers, sanctions et contrôles à l’exportation sont venus menacer la croissance chinoise. La pandémie de Covid-19, en fragilisant la conjoncture mondiale, a encore intensifié les tensions sino-américaines. Dans ce climat, Xi avait exhorté ses cadres à « prévenir et désamorcer les risques cachés » et à « répondre activement aux chocs provoqués par les changements de l’environnement extérieur ».
Ces avertissements résonnent plus que jamais aujourd’hui. Xi apparaît encore plus soucieux des questions de sécurité qu’il ne l’était il y a cinq ans. Le discours officiel présente désormais la Chine comme un « porte-avions économique insubmersible », capable de résister aux sanctions et aux restrictions technologiques imposées par les États-Unis. L’objectif : consolider un modèle de croissance autonome, fondé sur la montée en gamme industrielle et la maîtrise des chaînes de valeur, afin d’accroître la productivité totale des facteurs. Ainsi, le 4ᵉ plénum de 2025 pourrait entériner les grandes orientations du concept de « nouvelles forces productives de qualité », introduit par Xi en 2023 et appelé à devenir le moteur central du « renouveau national » face au vieillissement démographique et au ralentissement structurel de l’économie.
Pour autant, le leadership chinois semble pleinement conscient des défis à venir. Une récente série d’éditoriaux dans la presse officielle a reconnu la réalité d’une demande intérieure atone, d’une pression déflationniste persistante, de finances locales fragilisées et d’un marché immobilier encore instable. De tels aveux sont révélateurs de la part d’un Parti qui a davantage l’habitude d’adopter un ton excessivement optimiste quant à la situation générale du pays que de tirer des constats alarmistes.
Pour autant, Xi semble peu enclin à adopter un plan de relance massif de la consommation des ménages ou renforcer significativement la protection sociale, de peur que les citoyens chinois se complaisent dans une sorte d’État-providence « à l’occidentale ». Il se montre tout aussi réticent à transférer des ressources fiscales nécessaires aux gouvernements locaux, ce qui les pousse souvent à exercer des pressions sur les entreprises privées et à retarder les paiements aux sous-traitants.
Dans la même veine, Pékin reconnaît que les surcapacités industrielles — dans les véhicules électriques, les panneaux solaires ou les batteries — deviennent un problème politique, mais ne démontre aucune volonté de les freiner. Cela nécessiterait trop d’efforts et de réformes structurelles.
Le modèle chinois des cinq prochaines années (ou plus) devrait donc rester orienté vers l’investissement productif, les infrastructures et les exportations, au risque de prolonger le déséquilibre entre production et demande, et d’attiser les tensions commerciales avec ses partenaires.