Embouteillages monstres au plus grand péage de Chine (36 voies) à Wuzhuang, dans l’Anhui ; pluie de drones incandescents lors d’un spectacle dans le Hunan ; et centaines de randonneurs bloqués à 4 900 mètres d’altitude par une tempête de neige au pied de l’Everest, côté tibétain : les vacances nationales chinoises (1ᵉʳ au 8 octobre), combinant la fête nationale et celle de la mi-automne, auront à nouveau offert leur lot d’images spectaculaires.
Dès le premier jour, le ton était donné : 23,13 millions de passagers ont pris le train, soit l’équivalent d’un tiers de la population française, un record jamais atteint. Les aéroports n’étaient pas en reste : plus de 2,47 millions de passagers ont été enregistrés dans les airs, une hausse de 3,2 % par rapport à 2024, tandis que le nombre total de voyages en avion durant la période a augmenté de 0,8 %, atteignant 308,9 millions. Mais c’est sur la route que le changement le plus notable s’est opéré : plus nombreux que jamais, les Chinois ont pris leur voiture pour s’évader des grandes métropoles. Avec un inconvénient pour les (nombreux) propriétaires de véhicules électriques : les longues files d’attente aux bornes de recharge le long des grands axes…
Si les voyages ont atteint le chiffre impressionnant de 888 millions, les dépenses, elles, ont reculé. Selon les données officielles, les recettes touristiques ont atteint 809,1 milliards de yuans — une progression nominale, mais un pouvoir d’achat en berne : 113 yuans dépensés par personne et par jour, le niveau le plus bas depuis 2019. Reflet de cette relative frugalité : le box-office national n’a rapporté que 1,84 milliard de yuans, en baisse de 13 % par rapport à 2024, malgré 11 nouveaux films à l’affiche et des tarifs réduits. De même, la traditionnelle ruée vers les gâteaux de lune (月饼) a été moins importante que prévue. Ce n’est pas surprenant, les consommateurs, sous pression, sont plus regardants à la dépense. Le paradoxe est patent : les Chinois voyagent davantage, mais surveillent encore plus leurs portefeuilles.
Paradoxalement peut-être, les voyages à l’étranger ont retrouvé des couleurs. Les compagnies aériennes chinoises et étrangères ont assuré plus de 2 000 vols internationaux par jour, en hausse de 11 % sur un an. Le trafic aérien international a ainsi retrouvé 92,9 % de son niveau de 2019, avec des destinations comme le Japon, Singapour, le Vietnam ou le Royaume-Uni dépassant même les fréquences pré-Covid. De nouvelles destinations, plus abordables et plus faciles d’accès — le Kazakhstan, le Laos — ont séduit une clientèle soucieuse d’optimiser ses dépenses. Grâce à trois jours de congés additionnels, certains vacanciers ont pu prolonger leur escapade jusqu’à 12 jours, favorisant les séjours longs et lointains.
Le 1ᵉʳ octobre, jour du départ en vacances, a aussi marqué l’entrée en vigueur du visa « K », une innovation administrative destinée à attirer les jeunes talents étrangers diplômés dans les disciplines STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques). Ce visa multi-entrées, sans obligation de parrainage par un employeur chinois, offre davantage de souplesse de séjour. Mais la mesure a suscité une vive polémique. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont dénoncé un « favoritisme envers les étrangers » au moment même où le chômage des jeunes Chinois atteint 18,9 %. Face au tollé, les médias d’État ont dû intervenir pour défendre la réforme, dénonçant une « étroitesse d’esprit » et insistant sur la nécessité de renforcer la recherche chinoise par l’ouverture internationale.
Ce débat, qui révèle les tensions entre ambitions technologiques et protection de l’emploi local, intervient dans un contexte politique chargé. Le Quotidien du Peuple a publié pendant la semaine de congés une série de huit tribunes signées « Zhong Caiwen », pseudonyme institutionnel désignant la Commission centrale des affaires financières et économiques, dirigée par He Lifeng, proche de Xi Jinping. Ce cycle d’articles prépare le terrain idéologique du 4ème plénum du Comité central, prévu du 20 au 23 octobre, et qui devra avaliser le 15ème plan quinquennal (2026-2030).
Les tribunes, dans un ton volontariste, comparent l’économie chinoise à un « porte-avions insubmersible », capable de résister à la tempête mondiale grâce à sa planification et à sa prévisibilité. « À l’inverse, certains pays occidentaux vacillent dans leurs politiques nationales, changeant de cap au gré des humeurs et allant même jusqu’à remonter le cours de l’histoire : autrefois défenseurs de la mondialisation économique, ils privilégient désormais des politiques nationalistes, marquées par le repli sur soi », fustige l’un des textes, en une référence à peine voilée au « Make America Great Again » de Donald Trump.
Le ton diplomatique, lui, s’est encore durci. Les vacances à peine terminées, Pékin a annoncé le 9 octobre une nouvelle série de restrictions sur les exportations de terres rares, invoquant la « sécurité nationale ». Désormais, tout industriel étranger désireux d’exporter un produit comportant même une infirme trace (0,1%) d’une terre rare provenant de Chine ou réalisé grâce à des technologies chinoises, doit demander à Pékin une licence d’exportation.
En se plaçant ainsi sur le terrain de l’extraterritorialité, la Chine espère rendre à Washington la monnaie de sa pièce — les États-Unis ayant, de leur côté, imposé des restrictions similaires sur les semi-conducteurs. Si elle est maintenue et appliquée à la lettre, cette nouvelle règle imposée par Pékin pourrait se transformer en véritable casse-tête administratif et laisse présager de très longs délais d’exportation.
Pour enfoncer le clou, Pékin a également instauré de nouveaux frais portuaires visant les navires américains — alors que Washington envisage, depuis avril, de faire de même pour les navires chinois — et annoncé l’ouverture d’une enquête antitrust contre le géant américain Qualcomm.
La réaction américaine ne s’est pas fait attendre. Le président Donald Trump, qui devait prochainement rencontrer son homologue chinois Xi Jinping en marge de l’APEC en Corée du Sud (31 octobre-1er novembre), a réagi avec colère, déclarant qu’il ne voyait plus l’intérêt de cette rencontre. Le lendemain, Trump a annoncé une nouvelle taxe de 100 % sur les produits chinois. Retour à la case départ… La Chine a-t-elle surjoué sa main dans ces négociations — ou cherche-t-elle, au contraire, à tester jusqu’où Washington est prêt à aller ?