Quand Warren Buffett tourne la page BYD, c’est bien plus qu’une transaction boursière : c’est la fin d’une ère. Après 17 ans, Berkshire Hathaway a liquidé l’intégralité de sa participation dans le leader mondial de véhicules électriques BYD (比亚迪 , bǐyàdí). Le marché a aussitôt réagi à cette annonce, sanctionnant le titre à Hong Kong d’une baisse de 3,35 %, preuve que l’effet Buffett continue de peser lourd sur la perception des investisseurs.
Ce départ n’a pourtant rien d’un coup de tête. Depuis 2022, la holding du « Sage d’Omaha » de 95 ans (ici en photo avec le fondateur de BYD, Wang Chuanfu) réduisait méthodiquement sa position, alors que BYD s’imposait face à Tesla sur le marché mondial de l’EV. Plusieurs cessions avaient déjà été enregistrées, notamment en 2024, préparant ce dénouement. Le premier trimestre 2025 a marqué l’officialisation de la sortie complète, Berkshire réduisant sa participation à zéro. Alors pourquoi le plus célèbre des investisseurs américains abandonne-t-il aujourd’hui un groupe auquel il a cru dès ses débuts ?
La principale raison du retrait de Berkshire pourrait être tout simplement la conviction que l’action BYD a atteint son plafond et que le potentiel de hausse est désormais limité. Pour rappel, lors de l’investissement initial de 230 millions de $ en 2008, le titre s’échangeait à un peu moins de 1 $ par action. Depuis, la valorisation a connu une ascension spectaculaire (+ 3890%), incitant le conglomérat américain à matérialiser ses gains et envisager d’autres investissements dans des secteurs jugés plus porteurs.

Si Berkshire a multiplié par 38 sa mise initiale, BYD a, de son côté, bénéficié d’un soutien en capital dont la valeur et la portée ne se limitaient pas à ces seuls dollars. L’aura de Buffett constituait une caution morale, une validation durable pour les investisseurs internationaux, d’autant que Berkshire s’était toujours refusé à investir dans son grand rival, Tesla d’Elon Musk.
Ainsi, lors de l’annonce du retrait de Berkshire, la communication de l’entreprise de Shenzhen a cherché à minimiser l’effet de surprise. Li Yunfei, directeur des relations publiques de BYD, a salué la confiance passée de Buffett tout en rappelant que l’achat et la vente faisaient partie de « la vie normale d’un investisseur ».
Il n’en est pas moins que Berkshire laisse derrière lui un vide narratif que BYD doit désormais combler par des performances convaincantes. Le constructeur doit désormais prouver qu’il n’est pas uniquement capable de faire du volume, mais également de dégager (davantage) de profits.
Or, les nuages s’accumulent pour BYD. Pour la première fois en plus de trois ans, le constructeur enregistre un recul de ses bénéfices trimestriels. Le groupe a également dû abaisser ses objectifs de vente de 5,5 millions de voitures à 4,6 millions en 2025.
Cette situation n’est pas étrangère à la guerre des prix qui fait rage en Chine entre constructeurs de véhicules électriques et grignote leurs marges. En mai dernier, BYD s’est attiré les foudres du gouvernement chinois en annonçant des rabais allant jusqu’à 34 % sur 22 de ses modèles, pour saper encore davantage une concurrence déjà peu profitable. En conséquence, Pékin a exigé des constructeurs qu’ils paient leurs fournisseurs dans des délais raisonnables. Une contrainte qui devrait peser sur la trésorerie de BYD, mais également sur ceux de ses concurrents.
À ce tableau local en demi-teinte s’ajoutent de nouvelles embûches à l’international. Début septembre, Mexico a annoncé une hausse de 50 % des droits de douane sur les véhicules importés de plusieurs pays, dont la Chine. Pékin y a vu une tentative de plaire à Donald Trump, à l’approche de la renégociation de l’accord de libre-échange nord-américain. La réaction chinoise ne s’est pas fait attendre : le 26 septembre, Pékin a ouvert une enquête antidumping visant les noix de pécan en provenance du Mexique et des États-Unis. Pour BYD, qui comptait sur l’Amérique latine comme relais de croissance, ce nouveau front commercial complique encore l’équation.
On aurait néanmoins tort de s’inquiéter pour l’avenir de BYD : le groupe dispose de liquidités abondantes, d’une avance technologique reconnue et d’une solide stratégie de délocalisation pour contourner les barrières tarifaires qui s’érigent sur son chemin. Mais à l’ère post-Buffett, il lui faudra convaincre que son modèle peut résister sans la caution symbolique de l’un des investisseurs les plus emblématiques du capitalisme mondial.