LE VENT DE LA CHINE

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La Chine change de statut dans une OMC en crise

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En marge de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, lors d’une réunion de l’Initiative chinoise pour le développement mondial, le Premier ministre chinois Li Qiang a annoncé que la Chine ne chercherait plus à obtenir de nouveau le « traitement spécial » pour les pays en développement dans les négociations actuelles et futures de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Précisons d’emblée sous peine de confusion que cela ne signifie pas que la Chine renonce à son statut de pays en développement. En effet, Li Qiang a qualifié cette décision d’« émanant d’un grand pays en développement responsable », montrant que Pékin continuait de revendiquer le statut de pays en développement, mais sans chercher à invoquer aucun « nouveau traitement spécial et différencié » dans les négociations actuelles et futures de l’OMC.

Le cas est un peu technique et demande quelques explications de fond. Rappelons d’abord qu’il n’existe pas de classification officielle de l’OMC pour les pays en développement et les pays développés ; les membres de l’OMC s’identifient eux-mêmes comme pays en développement ou pays développés. Le statut de pays en développement est donc actuellement autoproclamé.

Les accords de l’OMC contiennent des dispositions spéciales qui accordent aux pays en développement des droits spécifiques et permettent aux autres membres de les traiter plus favorablement. Il s’agit des « dispositions relatives au traitement spécial et différencié » (TSD) dont il est question ici.

Ces dispositions spéciales comprennent : des délais plus longs pour la mise en œuvre des accords et des engagements ; des mesures visant à accroître les opportunités commerciales pour ces pays ; des dispositions exigeant de tous les membres de l’OMC qu’ils protègent les intérêts commerciaux des pays en développement ; un soutien pour aider ces pays à se doter des infrastructures nécessaires pour mener à bien les travaux de l’OMC, gérer les différends et mettre en œuvre les normes techniques, etc.

En renonçant à un traitement spécial et différencié, la Chine dissocie le statut de pays en développement de certains avantages qui vont avec ce statut dans ses relations et tractations commerciales avec les autres pays au sein de l’OMC.

Pour autant, ce n’est pas la seule spécificité de la présence de la Chine à l’OMC. En effet, en vertu de l’article 15 du Protocole d’accession de la Chine à l’OMC, la Chine peut être considérée comme une économie non marchande (ENM) dans le cadre des procédures antidumping. Cette définition permet aux pays importateurs d’utiliser des méthodes alternatives pour la détermination des valeurs normales, ce qui conduit souvent à des droits antidumping plus élevés.

Si le statut ENM de la Chine était prévu pour durer 15 ans, la question se pose si la Chine est véritablement devenue après décembre 2016, une « économie de marché ». L’Europe, les États-Unis, le Canada, le Japon, le Mexique et l’Inde en doutent. Dans une ENM, les prix intérieurs sont considérés comme peu fiables pour déterminer la valeur normale du bien dans le pays, car ils sont faussés par l’intervention de l’État. Or, c’est bien ce que reprochent encore à la Chine ses principaux partenaires économiques. De fait, pas plus tard qu’en juillet 2024, l’OMC déclarait ne pas être en mesure d’obtenir une vision claire du soutien financier de la Chine à des secteurs industriels clés, tels que les véhicules électriques ou la production d’aluminium et d’acier, en raison d’un « manque général de transparence ».

Il faut se rappeler que si la Chine a pu faire partie de l’OMC, c’est grâce au lobbying des Etats-Unis, notamment de l’administration Clinton. Le président Bill Clinton soutenait que l’entrée de la Chine à l’OMC favoriserait la paix au niveau mondial, serait un vecteur de croissance pour les Etats-Unis et induirait des réformes économiques en Chine, déclarant au moment de l’accession de la Chine à l’OMC le 11 décembre 2001 : « Aujourd’hui, la Chambre des représentants a fait un pas historique vers la prospérité continue en Amérique, la réforme en Chine et la paix dans le monde ».

Adoptant le point de vue libéral des tenants de la théorie de la modernisation (liant progrès économique et libéralisation politique), le président George H. W. Bush se montrait confiant dans les effets émollients du doux commerce sur le Parti communiste chinois : « aucune nation sur Terre n’a découvert un moyen d’importer les biens et services du monde tout en stoppant les idées étrangères à la frontière ». La théorie était que la Chine en s’ouvrant économiquement au monde s’ouvrait aussi culturellement aux idées « étrangères » et que l’ouverture commerciale mènerait à terme à la démocratisation. En réalité, on le sait aujourd’hui, l’adhésion de la Chine à l’OMC a renforcé le contrôle du Parti communiste chinois, les gains économiques renforçant son modèle autoritaire plutôt qu’encourageant la réforme politique.

Pourquoi la Chine fait-elle donc cette annonce maintenant ? En réalité, la Chine utilise le même programme discursif depuis 2016 et l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. On se rappelle qu’en 2017 pour sa première et unique apparition au Forum économique mondial de Davos, le président chinois Xi Jinping avait défendu la mondialisation économique : le but était de prendre Washington à son propre piège néolibéral et de faire passer l’Amérique de Trump pour le mauvais élève de la mondialisation. C’est le même stratagème avec ceci en plus que la Chine n’a jamais été autant visée par des plaintes au sein de l’OMC : en 2024, la Chine a été confrontée à un nombre record de différends commerciaux et fait l’objet de 198 enquêtes commerciales de l’OMC.

La décision chinoise de ne plus solliciter de nouveau traitement spécial et différencié dans les négociations au sein de l’OMC lui permet de s’attirer les bonnes grâces de l’Institution à moindre frais : la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, y voyant « l’aboutissement de nombreuses années de travail acharné » et saluant « le leadership » de la Chine. C’est qu’en effet, l’OMC a été mis en « état de mort cérébrale » par la guerre commerciale décidée par Trump et ses taxes douanières à 10 ou 50% définies en dehors de tout cadre multilatéral. Or, son accession à l’OMC a représenté pour la Chine une véritable aubaine, malgré une kyrielle de plaintes pour anti-dumping, restriction sur les terres rares et vol de propriété intellectuelle qui n’ont pas freiné son essor. Au cours des 20 années qui ont suivi son adhésion, la Chine a vu son PIB multiplié par huit : devenue la deuxième économie mondiale, sa part dans l’économie mondiale passant de 4 % en 2001 à 17,4 % en 2020 ; cela grâce à des exportations de marchandises qui ont plus que septuplé.

On peut également interpréter cet abandon du TSD comme une déclaration de « bonne intention » de la Chine en vue de la prochaine rencontre prévue cet automne entre Xi Jinping et Donald Trump en Corée du Sud. Mais, de façon moins diplomatico-romantique, il s’agit d’abord d’une démarche réaliste dans le cas où des droits de douane unilatéraux devaient toujours être mis en place : en effet, si les États-Unis continuent l’imposition de droits de douane réciproques à l’échelle mondiale, la Chine n’en serait pas exemptée, même en bénéficiant du TSD au sein de l’OMC. Autant donc l’abandonner de soi-même pour recevoir les félicitations d’une institution impuissante à contrer la délibéralisation du commerce mondial impulsée par Donald Trump.

Par Jean-Yves Heurtebise

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