LE VENT DE LA CHINE

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Jeunesse chinoise au chômage : une génération en suspens

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Parmi les chiffres qui dominent aujourd’hui le débat public en Chine, aucun n’inquiète autant que celui du chômage des jeunes. Selon le Bureau national des statistiques, le taux de chômage urbain des 16-24 ans a atteint 18,9 % en août, contre 17,8 % en juin. Ce niveau se rapproche du record de 21,3 % enregistré en juin 2023.

Sans surprise, ces chiffres alarmants ont suscité ironie et scepticisme en ligne. « Excellente nouvelle ! Un nouveau record pour la nation chinoise… Les Chinois adorent être numéro 1 ! », écrivait un internaute. Un autre renchérissait : « Et encore, ce sont des données “optimisées”. Le vrai taux tourne probablement autour de 30 %. » La défiance est d’autant plus forte que, après le pic de 2023, les autorités avaient suspendu la publication des statistiques pendant plusieurs mois, avant de modifier leur méthodologie en excluant les étudiants et en intégrant des activités précaires dans la catégorie “emploi”.

Comment expliquer cette nouvelle flambée ? D’abord par la démographie académique : plus de 12,22 millions de diplômés sont arrivés sur le marché du travail cette année, soit 430 000 de plus qu’en 2024. Ensuite par un contexte économique morose. Les tensions commerciales avec les États-Unis, la transition industrielle et technologique accélérée par l’IA, ainsi que des pressions déflationnistes pèsent sur l’activité et freinent les embauches.

À cela s’ajoute un profond décalage entre formation et besoins du marché. Nombre de jeunes diplômés acceptent des emplois peu qualifiés, comme chauffeur VTC ou livreur de repas. Plus de 20 % des livreurs des deux plus grandes plateformes, Ele.me et Meituan, sont diplômés du supérieur, et au moins 70 000 chauffeurs possédaient un master en 2022. D’autres postes, paradoxalement, exigent des diplômes élevés pour des tâches routinières.

Dans ce contexte, des stratégies de survie parfois surprenantes apparaissent. Certains jeunes paient pour fréquenter de faux bureaux où ils miment une vie professionnelle afin de conserver une routine et une image sociale. D’autres, hébergés par leurs parents, deviennent des « enfants à temps plein », rémunérés pour rester à la maison et participer aux tâches domestiques.

Au cours des cinq dernières années, cette résistance silencieuse a pris de nombreuses formes. Elle commence avec le « tangping » — littéralement « s’allonger » —, qui consiste à refuser de participer à la course effrénée du travail. Certains choisissent le « runxue », c’est-à-dire émigrer à la recherche de liberté et d’un avenir meilleur. D’autres, se qualifiant de « dernière génération », jurent de ne jamais avoir d’enfants. Pour montrer leur indifférence aux perspectives de carrière, de nombreux jeunes vont même jusqu’à porter des tenues négligées au travail.

Dernièrement, ce malaise a pris la forme d’une nostalgie collective pour les années fastes de la croissance chinoise. Le hashtag « la beauté au temps de l’essor économique » (有种经济上行的美), devenu viral sur Xiaohongshu et Douyin, a généré des milliards de vues, cristallisant la désillusion d’une « génération Z » qui craint de ne pas atteindre le niveau de vie de ses parents.

L’impact psychologique du chômage sur les jeunes est tout sauf anodin. Des chercheurs l’associent à la montée des « attaques de vengeance contre la société » — des actes de violence aléatoires qui se multiplient dans le pays.

Au-delà des chiffres, c’est le pacte social chinois qui vacille. Dans le modèle politique du pays, la légitimité du pouvoir repose largement sur sa performance économique et sa capacité à offrir des emplois. Le chômage élevé des jeunes fragilise ce contrat implicite et accentue le fossé générationnel face au discours officiel.

Les inégalités perçues nourrissent encore ce malaise. Beaucoup estiment que leurs difficultés viennent moins d’un manque de compétences que d’un système biaisé par la corruption, les privilèges et le déséquilibre entre grandes métropoles et régions secondaires. Ce n’est pas seulement une crise matérielle : c’est une crise de confiance, où l’idée même d’un avenir professionnel stable et gratifiant est mise en doute.

Les solutions esquissées sont multiples : réformer l’enseignement supérieur pour l’adapter aux besoins du marché, développer la formation pratique et continue, soutenir les secteurs porteurs (technologies, industries vertes, services innovants), et encourager les PME, principales créatrices d’emplois locaux. D’autres appellent à mieux protéger les formes d’emploi atypiques, afin de réduire la précarité et restaurer un minimum de sécurité sociale.

Mais au-delà des pistes de réforme, la crise révèle un désajustement profond entre formation et emploi, attentes et réalité, promesses et quotidien. Le chômage des jeunes en Chine n’est pas une simple secousse conjoncturelle : il est le symptôme d’un système qui peine à offrir aux nouvelles générations un avenir crédible. Si rien n’est fait, le désarroi risque de s’installer durablement, transformant la nostalgie des « années fastes » en une critique silencieuse mais persistante de l’ordre établi.

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