La difficulté d’établir des prévisions statistiques vient de la nature même de la science statistique et de l’inclination à projeter sur l’avenir les évolutions dégagées du passé le plus récent. Le problème est que la continuité de la courbe repose sur l’identité des facteurs conditionnants dont on estime également la variation de façon moyenne et statistique.
Autrement dit, il suffit que le présent change pour que l’avenir se transforme. Ainsi, en 2010, The Economist prévoyait que l’économie chinoise dépasserait l’économie américaine en 2019 ; en 2019, The Economist prévoyait que l’économie chinoise dépasserait l’économie américaine en 2030 ; en 2022, The Economist prévoyait que l’économie chinoise dépasserait l’économie américaine en 2045…
La science démographique n’échappe pas à ses difficultés. Un article de l’Institut national d’études démographiques notait que selon « les dernières projections démographiques des Nations Unies (2012), la population chinoise pourrait ne jamais atteindre 1,5 milliard d’habitants, mais culminer à 1,45 milliard en 2030, avant de commencer à décliner. »
En réalité, le pic a déjà été atteint en 2021, 9 ans avant les projections les plus pessimistes d’il y a 13 ans. En 2022, la Chine a enregistré la première diminution de sa population depuis 1961 (-850 000 par rapport à 2021) ; en 2023, son deuxième déclin démographique consécutif (-2,08 millions par rapport à 2022) ; en 2024, elle chutait encore de 1,39 million par rapport à 2023 pour s’établir à 1,408 milliard en 2024. Du moins selon les données officielles du gouvernement, reprises par le rapport des Perspectives démographiques des Nations Unies qui affirmait que la population chinoise comptait 1,4 milliard d’habitants et pourrait diminuer à 1,3 milliard d’ici 2050, puis chuter à 633 millions d’ici 2100. Pourtant, dans un article de 2023, le démographe chinois Yi Fuxian estimait que la population réelle était désormais plus proche de 1,28 milliard et qu’elle chuterait à un milliard d’ici 2050. Or, tout dépend à nouveau de la variable de départ.
Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, l’indice synthétique de fécondité de la Chine en 2024 était de 1,2. En 1990, celui-ci était encore de 2,51. Database Earth estime cependant que le taux de fécondité de la Chine s’établit à 1,02. Selon Geo Universe, dans certaines régions, il serait encore bien plus bas, descendant jusqu’à 0.65 à Shanghai ! Avec un taux de fécondité inférieur à 1 sur l’ensemble du territoire, la Chine pourrait compter moins de 500 millions d’habitants d’ici la fin du siècle…

La politique de l’enfant unique a été un double échec paradoxal : non seulement, il n’a pas permis véritablement d’arriver à un enfant par couple, mais il a renforcé des tendances baissières que le gouvernement, 36 ans après, se voit tout autant dans l’impossibilité de renverser avec sa politique du « deux enfants par famille » (puis trois en 2021). L’introduction de la possibilité d’avoir deux enfants est allée de pair avec une accélération de l’effondrement de la fécondité.
Ce double exemple illustre la difficulté des politiques gouvernementales à infléchir dans un sens ou dans l’autre, des pratiques qui relèvent de très nombreux facteurs.
Pékin n’a eu de cesse de promouvoir des politiques natalistes ces dernières années (allégements fiscaux, incitations au logement et prise en charge des traitements de fertilité ) et ces derniers mois : le 8 septembre, la Chine a commencé à accepter les demandes d’aide à la garde d’enfants à l’échelle nationale, avec effet rétroactif au 1er janvier ; en août, le Conseil des affaires d’État avait annoncé que le gouvernement financerait la dernière année de maternelle des enfants ; en juin, le gouvernement a annoncé que tous les hôpitaux de plus de 500 lits devront proposer une anesthésie péridurale lors des accouchements d’ici la fin de l’année. La péridurale fait partie intégrante d’un système de santé décent et la mettre en avant comme une politique nataliste exceptionnelle révèle le décalage entre la pratique politique et la réalité reproductrice.
Car la baisse du taux de natalité dans le pays n’est pas qu’un problème économique, mais aussi et d’abord culturel. L’obstacle ne vient pas que du coût de l’éducation des enfants, mais de la conviction que la parentalité fait moins sens dans un avenir plus incertain où l’investissement dans la production d’une autre vie semble émotionnellement peu rentable dans un contexte historique et mondial qui donne la priorité à la réalisation de soi.
Plus encore, dans une société chinoise qui reste très patriarcale, l’enfant suppose le mariage, qui suppose l’intégration à la famille du père, qui suppose une perte d’autonomie pour la femme, laquelle fut durement gagnée par des années d’études et de travail.
La naissance de l’enfant est vue comme un fardeau, une charge et une responsabilité supplémentaires dans un contexte où la marge de manœuvre et de libertés individuelles est, dans un Etat autoritaire, déjà fort limitée.
Les politiques de natalité renforcent encore le dirigisme d’Etat en faisant du corps des femmes un instrument au service de la nation – ce qui peut accentuer d’autant la volonté d’autonomie et donc la dénatalité. Il faut bien voir que les grands discours sur le « Rêve Chinois » et la Chine en 2050 sont tenus par des hommes âgés, appartenant à une autre génération qui ne comprennent pas les mouvements du « tangping » (en faire le moins possible) et les slogans viraux tels que « pas de mariage, pas d’enfants, soyez prudents » (不婚不育保平安). La crise du logement, la précarité des emplois et la culture du « 996 » ne créent pas mais accentuent le vrai problème (qui n’est d’ailleurs en rien purement chinois même si certains de ces déterminants le sont) : une perte de confiance en l’avenir de la jeunesse.