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Arc’teryx met le feu aux poudres dans l’Himalaya

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Au pied des « montagnes sacrées » de l’Himalaya, dans le comté de Gyangze (Tibet), la marque d’origine canadienne Arc’teryx (始祖鸟) et l’artiste chinois Cai Guoqiang (蔡国强) ont orchestré le 20 septembre un spectacle pyrotechnique qui restera dans les mémoires, mais probablement pas pour les bonnes raisons…

Intitulée « Dragon ascendant » (升龙), la performance consistait en une série de feux d’artifice tirés à plus de 5 500 mètres d’altitude en flanc de montagne. Son auteur, Cai Guoqiang, artiste connu internationalement pour ses créations monumentales utilisant notamment la poudre à canon, avait présenté l’événement comme une manière de « dialoguer avec le ciel et la terre ».

Diffusées en direct, les images ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux et fait polémique : sur Weibo, le hashtag lié à l’événement a dépassé les 150 millions de vues en 24 heures. De nombreux internautes évoquent un projet qui revenait à « faire exploser les montagnes », dénonçant à la fois un manque de conscience écologique et un irrespect des lieux sacrés. D’autres internautes ont qualifié la campagne d’« arrogante » et « déconnectée », estimant qu’elle allait à l’encontre des engagements de la marque en matière de protection de la nature.

Selon les organisateurs, des précautions avaient pourtant été prises. Les feux artifices, décrits comme biodégradables et conformes aux normes des Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022, devaient limiter l’impact environnemental. Les bergers et leurs cheptels avaient quitté les pâturages environnants, des blocs de sel avaient été disposés pour éloigner les petits animaux sauvages, et un nettoyage du site ainsi que des actions de replantation étaient prévus après le spectacle. Les autorités locales ont affirmé que le projet avait obtenu toutes les autorisations nécessaires, et que la zone choisie ne relevait pas d’un périmètre de protection écologique stricte.

Ces justifications n’ont pas convaincu. Scientifiques et militants écologistes ont souligné la vulnérabilité de l’écosystème himalayen. Dans ces environnements de haute altitude, la végétation pousse lentement, les sols sont fragiles, et les perturbations mettent des décennies à se résorber. Le bruit, la fumée et les résidus chimiques d’un feu d’artifice de cette échelle risquent, selon eux, de causer des dommages durables à la faune et à l’environnement. Des experts ont aussi mis en garde contre la pollution atmosphérique générée par les explosions, susceptible d’accélérer la fonte des glaciers déjà menacés par le réchauffement climatique.

Au-delà de la question écologique, l’événement a également suscité des critiques sur le plan culturel. Dans la tradition tibétaine, les montagnes sont souvent considérées comme sacrées, et des pratiques jugées bruyantes ou perturbatrices peuvent être perçues comme irrespectueuses. Pour certains observateurs, le feu d’artifice a donc représenté une forme d’appropriation culturelle, ou du moins une incompréhension profonde de la signification spirituelle attachée à ces paysages.

Face à l’ampleur de la polémique, Arc’teryx et Cai Guoqiang ont chacun présenté des excuses publiques, reconnaissant que des lacunes avaient pu exister dans la planification. Tous deux ont affirmé leur volonté de coopérer avec les autorités pour évaluer les conséquences et réparer, autant que possible, d’éventuels dégâts. La municipalité de Shigatze, elle, a annoncé l’ouverture d’une enquête afin de vérifier le respect des procédures et d’évaluer l’impact concret du projet sur l’environnement et la vie locale.

La presse chinoise, d’ordinaire prudente sur ce type de sujet, n’a pas mâché ses mots. Xinhua a souligné que ce qui avait explosé au-dessus de la crête n’était pas seulement de la fumée colorée, mais une collision entre logique commerciale et éthique écologique. Le Quotidien du Peuple a ajouté que des excuses étaient insuffisantes sans une comptabilité transparente des autorisations, des évaluations d’impact basées sur la science et des mesures correctives.

Lorsque les deux organes les plus influents de Chine s’expriment d’une seule voix, l’heure n’est plus à un simple mea culpa mais à un véritable plan de gestion de crise, d’autant que certaines plaintes concernant la qualité des produits commencent à resurgir…

Pour Arc’teryx, marque autrefois qualifiée par les internautes chinois de « Hermès du marché outdoor », c’est un coup dur. Détenue depuis 2019 par un consortium contrôlé par le groupe chinois Anta, elle ne peut pas plaider la carte du « faux pas culturel » pour un projet dont elle avait confié la direction à un artiste chinois.

À sa décharge, il est probable que 15 ans plus tôt, un tel spectacle n’aurait pas suscité une réaction aussi vive. Cette controverse illustre à quel point la conscience environnementale des consommateurs chinois s’est développée au fil des années. Le public, notamment les jeunes générations, est désormais plus attentif aux impacts écologiques des événements culturels et commerciaux, et n’hésite pas à remettre en cause les grandes marques lorsque leurs actions contredisent les valeurs qu’elles affichent. Ce changement de perception témoigne d’une exigence nouvelle de transparence et de cohérence que les marques – en particulier étrangères – auraient tort de négliger.

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