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Yi Huiman, ou la malédiction des patrons du régulateur boursier

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La plaisanterie est bien connue : les deux fonctions les plus ingrates de Chine seraient celles de président de l’Association chinoise de football (CFA) et de chef de la Commission de régulation boursière (CSRC). Le premier est conspué lorsque l’équipe masculine nationale perd ; le second devient la cible des investisseurs à chaque chute des marchés.

Ce trait d’humour a pris une tournure plus grave le 6 septembre, lorsque la Commission centrale d’inspection de la discipline (CCID) a annoncé que Yi Huiman, patron de la CSRC de janvier 2019 à février 2024, faisait l’objet d’une enquête pour « violations graves de la discipline et de la loi ». Il est le huitième « tigre » de rang ministériel à tomber cette année et le deuxième président consécutif de la CSRC à « tomber de cheval » (落马), après Liu Shiyu, qui s’était livré en 2019 pour éviter la prison.

La CSRC est bien plus qu’un simple régulateur : elle a la mission de protéger les millions de petits investisseurs qui placent leurs économies de toute une vie en Bourse. Son président est donc exposé en première ligne lors des tempêtes financières.

Rien ne laissait pourtant présager la disgrâce de Yi Huiman. Issu d’un milieu modeste, diplômé dans les années 1980 d’une école bancaire peu connue du Zhejiang, il avait gravi tous les échelons de l’ICBC, jusqu’à en devenir le président en 2013, à la tête de la plus grande banque mondiale en nombre d’actifs. Sa nomination à la CSRC en 2019 avait été perçue comme le choix d’un technocrate expérimenté, sans parrains politiques encombrants. Les investisseurs, toujours friands de symboles, s’amusaient même à voir dans son nom — Yi Huiman (易会满, littéralement « facilement rempli à ras bord ») — un présage de prospérité.

À son arrivée, le marché était morose, et beaucoup espéraient qu’il parviendrait à le dynamiser. Mais le bilan est décevant : sous son mandat, l’indice phare de Shanghai n’a progressé que de 9 %, contre +87 % pour le Dow Jones et +103 % pour le S&P 500.

Son plus grand chantier fut la refonte du processus d’introduction en Bourse (IPO), transformé en système d’enregistrement. Celui-ci, plus simple et plus proche des standards internationaux, faisait peser la responsabilité de transparence sur les entreprises. Mais il fut critiqué pour avoir saturé le marché de nouvelles actions. Yi a également lancé le STAR Market, équivalent chinois du Nasdaq, inauguré en 2019 seulement sept mois après que Xi Jinping en eut donné l’ordre. On lui doit aussi le concept de « valorisation aux caractéristiques chinoises », plaidant pour un soutien accru aux entreprises publiques cotées, souvent sous-évaluées.

Malgré ces réformes, Yi n’a pas réussi à restaurer durablement la confiance. En février 2024, alors que les marchés dévissaient, il fut brutalement limogé — une décision largement vue comme la désignation d’un bouc émissaire par Pékin. La désignation de son successeur, Wu Qing, surnommé le « boucher des courtiers », souligne le cap choisi par Pékin : un durcissement assumé, marqué par un contrôle accru des sociétés cotées et des flux de capitaux.

Les raisons de la chute de Yi restent floues. Certains avancent qu’il aurait été compromis par Zhu Congjiu, ex-vice-gouverneur du Zhejiang chargé des finances, condamné à la prison à vie pour avoir touché plus de 100 millions de yuans de pots-de-vin. Pour sauver sa tête, Zhu aurait livré aux enquêteurs plusieurs noms, dont celui de Yi. Son frère et son fils, actifs dans la société de courtage CICC, ont eux aussi été inquiétés. D’autres lient sa disgrâce à son passage à l’ICBC, où plusieurs dirigeants proches de lui ont récemment été emportés par la vague anticorruption.

Quoi qu’il en soit, Yi apparaît comme une nouvelle victime de la vaste purge en cours dans le milieu de la finance. Depuis l’an dernier, plusieurs figures du régulateur boursier ont été mises en cause, dont Wang Jianjun, ex-vice-président de la CSRC, ainsi que plusieurs responsables régionaux.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le message est clair : régulateurs, banques et institutions financières doivent non seulement éviter toute corruption, mais surtout aligner leurs pratiques sur les priorités du Parti — stabilité, gestion des risques, loyauté politique. Le secteur des valeurs mobilières, par sa sensibilité et son exposition, est en première ligne.

Reste que pour les investisseurs, voir un ex-président de la CSRC tomber sous enquête fragilise encore la confiance, alors même que Pékin s’efforce de redorer l’image de ses marchés de capitaux. Tant que la corruption ne sera pas éradiquée par de véritables réformes institutionnelles, et non par des « purges » spectaculaires, l’espoir d’un marché robuste et crédible risque de demeurer une chimère.

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