Alors que tout le monde avait son attention portée sur Pékin et le défilé militaire organisé par Xi Jinping à la gloire du Parti, le pape Léon XIV organisait à Rome une conférence et une réunion sur l’Église catholique en Chine dont les conclusions et les résultats démontrent une continuité entre la politique chinoise du pape François et celle de Léon XIV.
On se souvient que le pape François avait déclaré en 2015 qu’il souhaitait se rendre en Chine et améliorer les relations entre la Chine et le Saint-Siège. Il reste qu’à la mort du pape François en avril dernier, la police de Wenzhou empêcha les prêtres de célébrer la messe en sa mémoire. Pourtant, l’Eglise catholique, pour maintenir l’unité de la foi, avait cédé aux nombreuses exigences du Parti en signant l’accord provisoire de 2018 entre le Vatican et Pékin.
Rappelons que le christianisme est présent en Chine depuis le début du Moyen Âge sous les traits de l’Eglise nestorienne (considérée hérétique) s’installant au 7e siècle, sous la dynastie Tang. Si le catholicisme était l’une des religions patronnées par les empereurs mongols de la dynastie Yuan, il ne s’implanta qu’après sa réintroduction par les Jésuites au 16e siècle. À partir du début du 19e siècle, les missions protestantes ont gagné la Chine et des églises chinoises indépendantes furent fondées : un mouvement qui s’accéléra après les guerres de l’Opium (l’accès des missions en Chine constitua, avec l’ouverture des ports pour le commerce, une des exigences des puissances européennes).
Selon les statistiques officielles, on serait passé de 4 millions de Chrétiens avant 1949 (3 millions de catholiques et 1 million de protestants) à plus de 44 millions en 2018 (38 millions de protestants et 6 millions de catholiques). Les chiffres non officiels suggèrent le chiffre de 67 millions de chrétiens en Chine aujourd’hui.
Les Chinois de plus de 18 ans ne sont autorisés à adhérer qu’aux groupes chrétiens enregistrés auprès de l’un des trois organismes publics : l’Association patriotique catholique chinoise, le Conseil chrétien de Chine ou le Mouvement patriotique protestant des Trois-Autonomies. De nombreux chrétiens sont donc membres de réseaux informels et d’églises « souterraines » qui ont commencé à proliférer dans les années 1950 lorsque la Chine est devenue communiste. Depuis 1949, la Chine maoïste poursuit une politique de « sinisation » des religions qui s’est intensifiée sous Xi Jinping. Depuis 2018, selon plusieurs rapports, on assiste à la répression la plus sévère à l’encontre du christianisme depuis que la liberté religieuse a été inscrite dans la Constitution en 1982 : destruction de croix, incendie de bibles, fermeture d’églises, mesures prises contre les églises clandestines, crucifix et autres images religieuses remplacés par des images de Xi Jinping… Dans le classement « Open Doors » 2023 des pays où la persécution antichrétienne est la plus forte, la Chine se classe au 16e rang.
De Benoît XVI à François, l’Eglise catholique a changé de politique chinoise. En 2007, Benoît XVI écrivit une lettre ouverte à tous les catholiques chinois, déclarant qu’il y avait une seule Église catholique en Chine et que malgré les deux communautés (Églises « patriotiques » et « clandestines »), il n’y avait pas de schisme entre elles. Si l’Église catholique acceptait la légitimité des autorités civiles dans les affaires laïques, seul le pape avait autorité dans les affaires ecclésiales : la nomination des évêques par l’Association patriotique catholique chinoise violait donc la doctrine catholique.
Sous François, en septembre 2018, le gouvernement chinois et le Vatican signèrent un accord dit « provisoire » concernant la nomination des évêques en Chine dont le contenu n’a pas été divulgué. L’accord stipule que la Chine recommandera les évêques avant qu’ils ne soient nommés par le pape, mais que le pape a le pouvoir d’opposer son veto. Autrement dit, le Parti préempte les décisions prises par l’Eglise à travers des « recommandations » qui sont loin d’être optionnelles si le Saint Siège veut maintenir un certain niveau de relation avec Zhongnanhai.
Les récentes prises de décisions pastorales et ecclésiales vont aussi dans ce sens. Le 10 septembre, le pape Léon XIV a supprimé deux diocèses en Chine et en a érigé un nouveau avec un nouvel évêque. La décision de supprimer les diocèses de Xuanhua et de Xiwanzi, érigés en 1946, et « d’ériger simultanément le nouveau diocèse de Zhangjiakou, suffragant de Pékin », afin de « promouvoir la pastorale du troupeau du Seigneur et de mieux veiller à son bien spirituel » (pour reprendre les termes du bureau de presse du Vatican) montre une direction allant clairement dans le sens de Pékin. En effet, les deux évêques des diocèses désormais supprimés, à savoir Mgr Augustine Cui Tai et Mgr Joseph Ma Yanen, étaient membres de l’Église clandestine en Chine et refusaient d’adhérer à l’Association patriotique catholique chinoise.
Le cas de Mgr Augustine Cui Tai, 75 ans, est particulièrement révélateur : le désormais ancien évêque du diocèse de Xuanhua fut détenu illégalement par les autorités chinoises depuis près de 16 ans. En général, il était brièvement libéré pendant le Nouvel An chinois et la fête de la Mi-Automne. Depuis le printemps 2021, il n’était pas rentré chez lui ni apparu en public.
Inversement, le 10 septembre, Léon XIV a consacré le révérend Giuseppe Wang Zhengui comme premier évêque du nouveau diocèse. Sa candidature a reçu l’approbation papale « dans le cadre de l’accord provisoire entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine ». Or, Giuseppe Wang Zhengui était depuis octobre 2007, le vice-secrétaire général de la Conférence épiscopale et de l’Association patriotique de la province du Hebei.
Une décision qui fragilise l’Église souterraine et récompense l’Association patriotique alors même que depuis l’accord de 2018, de nombreux cas de sélection épiscopale unilatérale et de restructuration diocésaine ont été menés sans l’approbation papale.
En janvier 2024, l’évêque Peter Shao Zhumin de Wenzhou fut arrêté après avoir publiquement exprimé son désaccord avec les actes de gouvernance mis en place dans son diocèse par un administrateur nommé par l’État, notamment la suppression du diocèse voisin de Lishui et son intégration à Wenzhou en tant que paroisse. En novembre 2022, les autorités organisèrent une « cérémonie d’installation » à Nanchang, pour transférer John Peng Weizhao, un évêque du diocèse romain de Yujiang nommé par le Saint-Siège, assigné à résidence en 2014 par le gouvernement local, l’évêque auxiliaire d’un diocèse non reconnu par le Saint-Siège, le diocèse de Jiangxi. Début 2025, après le décès du pape François, et alors que le Collège des cardinaux était réuni à Rome, les autorités chinoises ont annoncé l’élection d’un évêque au diocèse continental de Xinxiang.
Le système qui se met en place semble être celui d’une fusion des deux Eglises, dominée par l’Association patriotique : les évêques appartenant à l’Eglise souterraine, donc historiquement directement nommés par le Pape, n’ayant souvent au mieux qu’un rôle d’évêque auxiliaire (au pire : mis à la retraite après la perte d’un diocèse supprimé, redécoupé et renommé).