LE VENT DE LA CHINE

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L’envers du décor (de la parade)

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Les images de blindés, missiles hypersoniques et milliers de militaires défilant au pas de l’oie sur l’avenue Chang’an à Pékin ont fait le tour du monde. Le 3 septembre, la Chine a organisé une imposante parade militaire pour commémorer la victoire sur le Japon en 1945. Officiellement, elle visait à affirmer la puissance de l’Armée populaire de libération (APL), mais cette parade n’était pas uniquement une démonstration de force : c’est un marqueur politique voulu par Xi Jinping.

Il faut savoir qu’avant l’arrivée au pouvoir de Xi en 2012, la Chine n’avait jamais organisé de défilé pour célébrer la victoire sur l’agresseur japonais — un conflit qui coûta la vie à environ 35 millions de Chinois selon le bilan officiel chinois, soit autant que les victimes du Grand Bond en avant de Mao. Depuis lors, Xi a fait de cette commémoration une affaire personnelle. Sa mère, Qi Xin, a vu les troupes japonaises marcher sur Beiping (l’actuel Pékin) en 1937 et vécu l’occupation. Cette mémoire familiale, conjuguée à un discours nationaliste, peut expliquer pourquoi Xi a fait de cette date (3 septembre) un pilier du récit patriotique chinois. Mais tout ceci a un prix : 36 milliards de yuans (5 milliards de $), soit environ 125 fois plus cher que le défilé militaire organisé par Donald Trump en juin dernier (45 millions de $). Une dépense vertigineuse, alors que l’économie chinoise traverse un ralentissement marqué…

Mais ce n’est pas le coût du défilé qui a suscité la controverse. Sur le chemin donnant sur la place Tian’anmen, un micro d’un journaliste russe resté allumé a capté une conversation lunaire entre Xi Jinping et Vladimir Poutine. Dans la vidéo, on entend Poutine affirmer que « la vie éternelle pourrait être atteignable grâce aux innovations dans les biotechnologies », précisant que « les organes humains peuvent être transplantés à l’infini. Plus vous vivez longtemps, plus vous rajeunissez, et vous pouvez même atteindre l’immortalité ». Ce à quoi Xi Jinping répond : « Auparavant, très peu de personnes vivaient jusqu’à 70 ans. Aujourd’hui, à 70 ans, on est encore un ‘enfant’. Certains prédisent qu’au cours du siècle, des humains pourraient vivre jusqu’à 150 ans ». Naturellement, les propos des deux dirigeants de 72 ans ont suscité des interrogations sur leur intention de demeurer au pouvoir indéfiniment.

Interrogé par la suite en conférence de presse, le président russe a confirmé avoir bien eu cet échange avec Xi. L’attitude était beaucoup moins décontractée du côté de Pékin, qui a rapidement censuré toute recherche liée à « 150 » ou « immortalité » sur les réseaux sociaux. Preuve que la scène n’a tout de même pas échappé aux internautes chinois : les recherches pour « 150 » ont bondi de 9 650 % en une seule journée sur Weibo, dépassant les 3,36 millions de requêtes.

A quel point les deux dirigeants étaient-ils sérieux lorsqu’ils ont eu cette conversation ? Nul ne le sait… Néanmoins, les 150 ans évoqués par Xi font écho à un certain « projet santé 981 », un programme lancé par le Parti en 2005 pour prolonger la vie des hauts dirigeants. Destiné à l’élite du Parti, il visait à fournir des soins spécifiques et des organes pour allonger leur espérance de vie. Initialement doté d’une page Baidu, ce programme a par la suite disparu de la toile après une polémique sur l’accès privilégié des cadres aux greffes…

Le regard des analystes s’est ensuite focalisé sur les invités présents dans les tribunes d’honneur, à la recherche du moindre signe qui pourrait donner une indication sur le climat politique qui règne actuellement au sommet du Parti. 

Parmi les anciens membres du Comité Permanent, étaient présents : Wen Jiabao, Wang Qishan, Wang Yang, Zhang Dejiang, Yu Zhengsheng, Li Zhanshu, Liu Yunshan, Zhang Gaoli (accusé de viol par l’ancienne championne de tennis, Peng Shuai, en 2021), mais aussi Jia Qinglin, Zeng Qinghong, Li Ruihuan, Li Lanqing, Wu Guanzheng, Li Changchun et He Guoqiang.

En revanche, Hu Jintao, Zhu Rongji et Song Ping manquaient à l’appel. Hu, expulsé de force lors du XXème Congrès du Parti en 2022, n’aurait pas assisté à la cérémonie pour raison de santé. Néanmoins, le récent retour sur le devant de la scène de son protégé, Hu Chunhua, éjecté sans explication du Politburo il y a trois ans, questionne sur l’influence que l’ancien président chinois pourrait encore exercer dans l’ombre, en dépit de son âge avancé (82 ans).

Plus étonnant dans une cérémonie où rien n’est laissé au hasard : la position de Zhang Youxia, vice-président de la Commission militaire centrale (CMC), assis aux côtés des « anciens dirigeants » dans la tribune d’honneur. N’étant que « simple » membre du Politburo, certains y ont vu un privilège inhabituel, voire la preuve que, malgré les purges incessantes au sein du haut commandement de l’APL, Zhang a consolidé son pouvoir. D’autres au contraire interprètent la position de Zhang dans la tribune comme un signe de sa possible marginalisation, lui qui était jusqu’à présent le bras armé de Xi Jinping au sein de l’APL. Autre variante : Zhang Youxia aurait volontairement été placé à l’extrémité de la tribune pour éviter d’alimenter les rumeurs voulant que lui seul dirige l’APL, théorie nourrie par les mises sous enquête successives de plusieurs généraux réputés proches de Xi.

Le fait que le commandement de la parade soit confié au lieutenant-général Han Shengyan, issu de l’armée de l’air, a également fait jaser. D’ordinaire, cette tâche incombe au chef du commandement du théâtre central (poste stratégique basé à Pékin, actuellement détenu par Wang Qiang, un protégé de Xi). Or, Wang était absent à la parade, ce qui pourrait indiquer qu’il a des ennuis. Si ce scénario se confirme, cela serait un nouveau coup dur pour Xi. Enfin, le dernier grand absent de cette parade était bien sûr le 2nd vice-président de la CMC, He Weidong, invisible depuis mars dernier… 

Ces absences et autres bizarreries démontrent que malgré les efforts consentis pour présenter un front uni lors de ce défilé, le haut commandement de l’APL reste agité par de brutales luttes de pouvoir, qui pourraient avoir un impact non négligeable sur la capacité opérationnelle des forces armées. Et si la bataille la plus décisive de l’APL se jouait au sein même du pouvoir ?

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