LE VENT DE LA CHINE

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Quand le sacré et l’intime basculent dans le scandale

SHAOLIN-ifeng

L’été 2025 aura été marqué par deux affaires qui ont particulièrement secoué l’opinion publique : le scandale du maître du temple Shaolin, accusé de corruption et d’inconduite sexuelle, et celui de « Sister Hong », une supercherie numérique mêlant sexe, voyeurisme et monde virtuel.

Shaolin : le sacré en procès

C’est un nom qui résonne dans le monde entier : le temple Shaolin. Perché dans les montagnes du Henan, ce berceau du bouddhisme Chan et icône des arts martiaux incarne depuis des siècles discipline et spiritualité. Pourtant, à la fin du mois de juillet, son abbé emblématique , Shi Yongxin, a été interpellé par la police puis officiellement déchu de son ordination. L’homme est soupçonné par les autorités de détournements de fonds et par sa hiérarchie, de relations « inappropriées » avec des femmes qui auraient donné lieu à des enfants illégitimes. Des accusations qui contredisent la rigueur monastique prônée par le bouddhisme. A vrai dire, ce n’est pas la première fois que maître Shi est inquiété : dix ans plus tôt, il avait fait l’objet d’accusations similaires, avant d’être blanchi par la suite… Mais cette fois, la campagne anti-corruption de Xi Jinping aura eu raison de lui. 

Sans surprise, la nouvelle de l’arrestation de Shi a pris une ampleur considérable. Sur Weibo, le hashtag a généré plus de 500 millions de vues. « Le temple du kung-fu, victime du kung-fric » pouvait-on lire en commentaire. De fait, Shi Yongxin, également surnommé « le moine PDG », avait depuis 1999 transformé le temple millénaire en véritable multinationale, multipliant notamment les produits dérivés, allant des chaussures de sport aux pastilles pour la gorge… Chiffre d’affaires estimé : 1,2 milliard de yuans (143 millions d’euros).

Dès 2009, une vague d’indignation avait éclaté après l’annonce d’un projet d’introduction en bourse (IPO) de Shaolin via une coentreprise à Hong Kong. A l’époque, Shi avait nié toute implication et affirmé qu’il s’opposait à cette initiative. Le projet a finalement été abandonné, mais cet épisode a renforcé les inquiétudes du public quant aux activités commerciales du temple. Depuis le scandale, le temple Shaolin a cessé d’accepter des dons des touristes et l’encens est désormais gratuit pour les visiteurs.

Shaolin est loin d’être le seul temple concerné par cette dérive commerciale. Ce phénonème est particulièrement visible ces dernières années depuis que les jeunes Chinois se sont découverts un intérêt croissant pour la spiritualité. Ainsi, au sein des sanctuaires bouddhistes comme taoïstes, se multiplient restaurants végétariens et boutiques de souvenirs où bracelets bénis et amulettes se vendent à prix d’or. Selon l’agence de conseil Meritco Group, « l’économie des temples » en Chine représentait entre 80 et 90 milliards de yuans (soit 11,1 à 12,5 milliards de $) en 2023. Une valeur qui pourrait dépasser les 100 milliards de yuans d’ici la fin de cette année.  

Face au tollé suscité par le scandale Shaolin, les autorités bouddhistes chinoises ont annoncé un renforcement du contrôle des institutions religieuses, promettant plus de transparence dans la gestion des temples. Jusqu’à présent, ces lieux de culte n’étaient pas considérés comme des entreprises ni comme des institutions publiques. Une zone grise réglementaire qui a longtemps profité à leurs gestionnaires… 

« Sister Hong » : l’intime livré en pâture numérique

Toujours au mois de juillet, à 700 kilomètres des montagnes du Henan, la Chine était secouée par un autre scandale suite à l’arrestation à Nanjing d’un homme surnommé « Sister Hong ». Derrière ce pseudonyme se cachait en fait Jiao, 38 ans qui, pendant des mois, s’est fait passer pour une femme afin d’attirer des hommes via des applications de rencontre.

Grâce à un maquillage sophistiqué, des perruques, des filtres numériques et même une modulation vocale, il aurait piégé plus de 1 600 hommes hétérosexuels (chiffre que la police conteste) pour avoir des rapports sexuels avec eux. Là, des caméras cachées enregistraient les ébats à leur insu, vidéos dont Jiao monnayait ensuite l’accès dans des groupes privés pour la somme de 150 yuans (20 €). Cette affaire, qui n’est pas sans rappeler celle qui a inspiré le film « M. Butterfly », a été dévoilée au grand public lorsque ces vidéos ont fuité sur Internet, révélant plusieurs visages sans le consentement des personnes concernées.

Rapidement, la police a lancé une campagne de suppression des contenus et de lutte contre leur diffusion illégale. Mais le mal était fait. Les clips avaient déjà inondé les réseaux sociaux, transformant la tragédie individuelle en spectacle collectif, assorti de mèmes et de détournements humoristiques (cf photos), certains internautes allant jusqu’à créer des filtres recréant la chambre de Jiao ou des tutoriels pour reproduire son maquillage. En quelques jours, le hashtag #SisterHong dépassait les 200 millions de vues.

L’affaire a pris une tournure plus grave lorsque le CDC de Nanjing a offert des dépistages gratuits aux victimes potentielles, après avoir découvert que trois hommes sur 237 testés étaient séropositifs. Bien que le lien avec Jiao n’ait pas été confirmé, la crainte d’une propagation d’IST a décuplé l’émotion publique. Au plan judiciaire, Jiao risque des peines allant jusqu’à 10 ans de prison, pour production et diffusion de contenus obscènes, atteinte à la vie privée et mise en danger de la santé publique.

À première vue, tout oppose ces deux scandales. L’un se déroule dans un temple millénaire, l’autre dans les méandres des applications de rencontre. Pourtant, ils partagent un dénominateur commun : l’effritement des repères traditionnels dans une Chine en mutation constante. Entre modernisation accélérée et ancrage dans la tradition, entre contrôle étatique et déferlante numérique, entre pudeur affichée et pratiques cachées, la société chinoise avance sur une ligne de crête. Pour les citoyens, la question reste ouverte : jusqu’où accepter la marchandisation du sacré et la spectacularisation de l’intime ?  Une limite mérite d’être tracée.

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