LE VENT DE LA CHINE

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Le cadeau d’anniversaire explosif du dalaï-lama à son peuple

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Depuis les temps antiques, le dalaï-lama a toujours été une source de soucis, comme à l’époque Tang où le souverain pontife du pays des neiges, religieux mais aussi hardi combattant, augmentait son territoire aux dépens de celui de l’Empire du Ciel, occupant Chang’an (le Xi’an actuel), la capitale impériale d’alors, et forçant l’Empereur Han à traiter avec lui d’égal à égal.

De ces temps héroïques, on est loin aujourd’hui, avec un Tibet réduit à la portion congrue et sous contrôle étroit de la République populaire depuis son annexion en 1950. Toutefois, le dalaï-lama, réfugié hors du pays depuis 1959 en Inde, à Dharamsala, avec des dizaines de milliers de Tibétains, a refait parler de lui à l’occasion de son 90ème anniversaire ce mois de juillet, événement présenté comme le moment de clarification des règles pour sélectionner son successeur une fois sa mort venue.

Sans grande surprise, le 2 juillet, Tenzin Gyatso, de son nom de naissance, a confirmé que l’institution du dalaï-lama va se perpétuer selon les rites traditionnels, tout en précisant que cette tâche reviendra à un collège de hauts religieux. « Personne d’autre n’a autorité pour interférer en cette matière », a-t-il ajouté, s’adressant au gouvernement chinois. Une prétention qui ne peut qu’énerver au plus haut point Pékin, pour qui telle sélection est exclusivement son affaire, soulignant que « la plupart des temples de l’église bouddhiste lamaïste se trouvent sur territoire chinois ».

De son côté, tout au long de sa vie à la tête de son église, le 14ème dalaï-lama n’a jamais dévié de sa ligne : c’est à lui seul d’ordonner et organiser la détection de son successeur, de faire identifier l’enfant souverain. Et cette quête doit se faire en dehors du Céleste Empire, lui-même ayant « passé la majeure partie de [sa] vie hors de Chine ».

Selon les textes sacrés lamaïstes, le dalaï-lama est « en capacité » de déterminer l’être dans lequel il va se réincarner, en fonction des objectifs qu’il s’est donnés pour son église et des qualités du « tulku » – ou jeune successeur – pour poursuivre son œuvre. Il peut le présélectionner, mais son église ne peut le détecter qu’après Sa mort puisque son âme ne peut être que transmise, et non pas dédoublée.

Aussi, en pratique, l’enquête débute, suivant les indices ou règles léguées par le défunt. Un lama de haut rang préside à la succession, possiblement avec l’assistance d’un oracle. Dans tous les cas, il s’agit de faire apparaître chez le candidat des indices de parenté spirituelle avec le précédent dalaï-lama. Ces signes peuvent être les plus divers, telle la floraison d’un arbre (précoce, inopinée), des secousses sismiques, la direction prise par la fumée lors de la crémation, ou des rêves ou oracles de parents. Les moines s’efforcent de détecter dans le caractère de l’enfant une similitude avec ceux du défunt, preuve que l’âme de ce dernier s’est réincarnée dans le corps de l’enfant. Ce dernier peut-il, par exemple, « reconnaître » des objets chers au défunt, les manier avec une familiarité spontanée ? Suivent ensuite des tests initiatiques, suivant des méthodes liées à la méditation et la transformation de la conscience. A l’issue du processus, un lama de haut rang, karmapa ou panchen-lama confirme le choix.

Aux yeux du régime, la seule méthode « licite » est celle de l’urne d’or décrite par l’ordre n°5 du Bureau des Affaires religieuses, datant de 2007. Selon ce protocole établi par l’empereur Qianlong sous la dynastie Qing, le gouvernement chinois se réserve le droit de désigner le leader du bouddhisme tibétain en piochant le nom dans une urne d’or conservée au monastère Drepung à Lhassa. Une fois élu, l’enfant va mener une vie séparée, dans un milieu ecclésiastique mais sous contrôle étroit du Parti, qui se charge de le coéduquer et de l’orienter dans ses choix futurs.

C’est ce que l’actuel dalaï-lama veut éviter. Il garde en mémoire le précédent de 1995, lors de la sélection du panchen-lama, le plus important dignitaire lamaïste vivant en Chine. Depuis l’Inde où il réside, le pontife avait alors surveillé de près le processus, puis avait surpris le monde en annonçant le résultat, accompagné de sa bénédiction. A Pékin, le président Jiang Zemin, furieux de cette « mise sur la touche » des instances du régime, avait ordonné l’enlèvement de l’enfant et de ses parents quelques jours plus tard, avant de le remplacer par un enfant adoubé par Pékin. Depuis lors, l’église tibétaine vit sous deux panchen -amas, l’un tenu au secret afin d’empêcher que les foules tibétaines ne lui prêtent allégeance, l’autre visible et fonctionnel. C’est d’ailleurs ce panchen-lama « officiel », qui a été reçu le 6 juin par Xi Jinping pour évoquer l’avenir de la spiritualité tibétaine, sous supervision du Parti bien sûr.

Pour rendre plus difficile le contrôle de son église, le 14ème dalaï-lama a longtemps laissé planer le flou, multipliant les fausses pistes ou propositions provocatrices ou humoristiques. Un jour, il déclare qu’il peut encore vivre « jusqu’à 110 ans » soit 20 ans de plus. Un autre, il suggère d’un ton badin, que sa charge disparaisse à sa mort, « si les tibétains estiment n’en avoir plus besoin », avant d’envisager une désignation par « émanation », c’est-à-dire l’identification par lui-même, de son vivant, de son successeur. Il a même évoqué la possibilité de procéder avec démocratie et d’organiser une consultation large au sein du clergé : tout est ouvert. Au fond, va-t-il même remarquer, son successeur pourrait être … une successeure, voire même une « sémillante blonde ». Une demi-boutade, destinée à élargir le champ des possibles, mais laissant entendre qu’en lamaïsme comme en maoïsme, la femme occupe la moitié du ciel.

Sur le fond, le souverain pontife ne se fait pas d’illusion : le Parti s’opposera par tous les moyens à l’apparition d’un successeur nommé par lui. On risque donc de se retrouver dans la situation où deux dalaï-lamas co-existeront, l’un imparti de la puissance de l’État, de la loi et de toutes ses institutions mais rejeté « in pectore » par les fidèles, et l’autre exerçant son autorité morale depuis l’extérieur du pays. L’objectif final du Parti étant de faire disparaître un dalaï-lama libre, soutenant et guidant comme aujourd’hui la foi de son peuple depuis l’extérieur du pays, en toute discrétion et efficacité.

Or, le temps joue peut-être en faveur de Pékin. En effet, la recherche du successeur au 14ème dalaï-lama pourrait s’étendre sur plusieurs années après sa disparition. L’éducation et la formation de l’enfant élu prendront encore quelques années supplémentaires. Période durant laquelle, Pékin aura toute liberté de promouvoir « son » dalaï-lama dans un Tibet où l’information est strictement contrôlée et où l’Etat chinois pratique sans relâche une politique de « sinisation » du bouddhisme tibétain, en particulier depuis les émeutes antichinoises de 2008. La foi, et plus largement le sentiment national tibétain, sauront-ils y résister ?

Par Eric Meyer

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