LE VENT DE LA CHINE

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La guerre entre Israël et l’Iran révèle les limites de l’alliance chinoise

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La clôture rapide de la guerre entre Israël et l’Iran a suspendu la possibilité d’un changement structurel au sein du régime iranien. S’il y a bien eu une forme de modification dans la gouvernance durant la guerre avec le transfert du pouvoir du guide suprême Khomeiny aux gardiens de la révolution, ce n’est pas vraiment celle attendue. La guerre de 12 jours entre Téhéran et Jérusalem a eu plusieurs conséquences dont certaines concernent directement la Chine.

Tout d’abord, avec le maintien au pouvoir d’un régime allié à Pékin, la guerre semble ne pas devoir affecter l’équilibre des forces en présence. Rappelons que l’Iran est un partenaire important pour Pékin : le pays fait partie des BRICS depuis 2025, s’inscrit au sein des Routes de la Soie (BRI) à travers un projet de collaboration de 25 ans signé en 2021, date à laquelle l’Iran est aussi devenu membre de l’Organisation de Coopération de Shanghai (SCO). Instituée en 2001 par la Chine et la Russie, l’OCS vise d’abord à faire le pont avec les états d’Asie centrale : le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan avant de s’élargir à l’Inde et au Pakistan en 2016, à l’Iran en 2021 et enfin à la Biélorussie en 2024.

La cessation des hostilités et la limitation du conflit ne devraient pas précipiter la région dans l’imprévisibilité, mais plutôt renforcer les forces en présence et souligner les tensions sous-jacentes. L’Iran a fait face à une double menace, externe et interne, soumise à la fois à la domination de son espace aérien par Israël et les Etats-Unis et à l’infiltration d’agents hostiles sur place (Mossad, opposants au régime) qui ont permis d’identifier les cibles avec une plus grande précision. Le pays devra donc renouveler à la fois son dispositif militaire en se tournant probablement plus vers la Chine que vers la Russie, sur le modèle du Pakistan (l’avion de chasse J-10C, censé avoir abattu au moins un Rafale, fait partie des candidats les plus probables à un transfert de matériel militaire), et entreprendre une reprise en main sans doute (hélas) radicale de sa société civile et de ses faillites sécuritaires, ce à quoi la Chine peut également contribuer du fait de son expertise dans la traque et la censure des dissidents.

Ensuite, le succès de cette opération coordonnée entre Israël et les Etats-Unis sera un sujet de recalibration stratégique pour Pékin. On sait que ce qui a mis fin à la guerre, ce sont deux choses. D’une part, « l’Opération Midnight Hammer » organisée le 22 juin 2025 par les Etats-Unis visant trois installations nucléaires : l’usine d’enrichissement d’uranium de Fordow, la centrale nucléaire de Natanz et le Centre de technologie nucléaire d’Ispahan – cibles de quatorze bombes anti-bunker GBU-57A/B MOP de 14 000 kg transportées par des bombardiers furtifs Northrop B-2 Spirit, et de missiles Tomahawk tirés depuis un sous-marin. Le fait que les B-2 aient pu voler 37 heures en continu, partant du Missouri pour atteindre leur cible en Iran et revenir à leur base en restant indétectés montrent que le proverbial déclin des Etats-Unis annoncé à longueur de discours par la Chine depuis des décennies n’est pas encore réalisé.

La différence notable de participation des Etats-Unis à la guerre russe contre l’Ukraine d’un côté et à la guerre israélienne contre l’Iran de l’autre, a conduit à des différences radicales dans l’évolution des conflits. Si l’abandon de l’Ukraine a enhardi la Russie, le soutien à Israël n’a laissé aucune chance à l’Iran. Ce qui montre que la puissance militaire américaine, épaulée par une volonté politique claire, peut toujours faire la différence.

Pékin peut en déduire que la seule manière de prendre Taïwan par la force est d’empêcher que les Etats-Unis deviennent partie prenante. Cela demandera pour Pékin de convaincre les Etats-Unis et leur président, comme Poutine l’a fait pour l’Ukraine, que la guerre du Détroit n’est pas leur guerre, qu’il serait inutile et contre-productif d’y participer. La Chine sait déjà que Trump aime passer pour un faiseur de paix, quitte à imposer celle-ci en tordant le bras aux agressés, si par malheur ceux-ci se trouvent être les plus faibles, au mépris du droit autant humain qu’international. La Chine doit convaincre Trump que Taïwan « ne vaut pas le coup », que c’est la « résistance déraisonnable » de Taïwan à l’annexion qui crée le conflit et que l’île est de toute façon trop faible pour mériter le soutien des Etats-Unis. Dans l’immédiat, la Chine a tout intérêt à continuer la politique d’accommodation commerciale avec Washington dont témoigne la récente confirmation de l’accord sur les terres rares entre les deux pays.

D’autre part, ce qui a contribué à limiter dans le temps et l’espace l’extension de la guerre, c’est la nature de la réponse iranienne. Le 23 juin 2025, l’Iran a lancé des missiles sur la base aérienne d’Al Udeid au Qatar. L’Iran avait averti le Qatar et les États-Unis quelques heures avant l’attaque « Opération Bonne Nouvelle de Victoire ». Le caractère bénin et annoncée de cette attaque montre le dilemme dans lequel l’Iran était placé : en attaquant une base américaine à Al Udeid, l’Iran n’attaquait pas seulement les Etats-Unis, il enfreignait aussi la souveraineté du Qatar. En décidant d’attaquer malgré tout, l’Iran prenait le risque de délégitimer tout le narratif « d’une alliance musulmane » contre les « sionistes » et les « infidèles » et de retourner l’ensemble du Moyen-Orient contre lui.

Cela aussi sera matière à réflexion en Chine : la nécessité et la difficulté de ne pas se mettre tous les pays asiatiques à dos dans sa croisade anti-formosane. Si les bases américaines en Asie-Pacifique (400 dans tout le Pacifique dont 120 au Japon, 73 en Corée du Sud, 9 aux Philippines) seront des cibles potentielles en cas de conflit généralisé, les attaquer frontalement conduirait à violer la souveraineté de nombreux pays riverains.

Enfin, le dernier élément de réflexion pour la Chine et ses alliés est la différence profonde entre le soutien américain à Israël et le soutien sino-russe à l’Iran. Bien que l’Iran fasse partie de nombreux traités de coopération dont la Chine et la Russie sont parties prenantes et membres fondateurs, leur soutien à Téhéran n’a pesé en rien dans le conflit ni sur le plan militaire ni sur le plan diplomatique. Malgré toute leur puissance (énergétique et nucléaire pour la Russie, économique et technologique pour la Chine) et tous leurs récits d’une nouvelle hégémonie non-occidentale sur le monde, c’est plutôt leur incapacité à agir décisivement pour leurs alliés qui transparaît.

Les pays de l’Asie-Pacifique ont tout intérêt à garder leur stratégie de double alliance, militaire avec Washington et économique avec Pékin, puisque même l’isolationniste Trump peut faire intervenir la puissance militaire américaine dans toute sa force. La Chine n’a pas encore démontré qu’elle pourrait se porter garante de la sécurité d’un autre pays – et il n’est pas sûr d’ailleurs, que si jamais elle était en mesure de le faire, elle entende jouer ce rôle : l’incapacité de Pékin à peser en Iran confirme ce que l’absence de soutien au régime des Assad en Syrie suggérait déjà, à savoir que le « China First » de Xi est bien plus radical que « l’America First » de Trump.

Par Jean-Yves Heurtebise

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