Impossible de passer à côté des « Labubus » (拉布布), ces lapins en peluche à mi-chemin entre la fameuse mascotte « kiki » popularisée dans les années 80 et les effrayants Gremlins. Commercialisée en 2019 par l’entreprise pékinoise Pop Mart, le spécialiste des figurines à collectionner, les Labubus connaissent un succès fulgurant auprès de la génération Z, devenant rapidement un phénomène culturel mondial, voire un outil de soft power chinois.
Le principe est simple : l’achat se fait à l’aveugle. Le consommateur paie pour une « boîte mystère » scellée et ne découvre son contenu qu’à l’ouverture. Sur TikTok, l’application chinoise plébiscitée par les jeunes, le hashtag #Labubu cumule plus de 1,7 million de vidéos. On y voit des fans se filmer en train d’ouvrir des boîtes frénétiquement, espérant tomber sur une édition rare. Car certaines de ces peluches se revendent jusqu’à 500 euros, contre un prix d’achat moyen de 30 €. Certaines pièces atteignent même les salles des ventes : le 10 juin, à Pékin, une statue Labubu de 131 cm a été vendue au prix record de 1,08 million de yuans (environ 130 000 €).
A l’international, on peut dire que c’est Lisa, célèbre chanteuse du groupe de K-pop Blackpink, qui a lancé la tendance en 2024, en se filmant avec un Labubu accroché à son sac de luxe. L’effet est immédiat : les ventes s’envolent. D’autres stars, de Rihanna à Paul Pogba, en passant par Dua Lipa ou David Beckham, s’affichent avec ces petites créatures, renforçant encore leur aura culte.
Aujourd’hui, Pop Mart recense plus de 130 boutiques hors de Chine et s’impose comme le nouveau géant du jouet. Les chiffres viennent étayer cette croissance fulgurante : 20 milliards de yuans de chiffre d’affaires prévus pour 2025, contre 13 milliards en 2024, et une marge brute supérieure à 66 %.
La popularité des Labubus est telle qu’à Londres, des bagarres ont éclaté devant les boutiques Pop Mart, forçant la marque à retirer temporairement les Labubus des rayons. À Paris, les réassorts sont dévalisés en quelques heures… En ligne, les arnaques sont légion, tandis que les contrefaçons (surnommées les « lafufus », avec un « f » pour « fake ») se multiplient. A tel point que les fans eux-mêmes appellent à mieux réguler le marché en proposant des files d’attente numériques, des quotas ou des tirages au sort.
Ils ne sont pas les seuls à s’inquiéter d’une telle frénésie. Le journal du Parti, le Quotidien du Peuple, désigne ces produits « mystères » comme des « pièges commerciaux » qui exploitent « l’immaturité » des plus jeunes par « la promesse de récompenses imprévisibles ». Une logique de consommation qui flirte avec l’addiction. Un phénomène que les autorités surveillent de près. En 2023, les autorités ont interdit la vente de « blind boxes » 盲盒 (máng hé) aux moins de 8 ans.
Malgré ces critiques, Pékin est bien conscient que le succès des Labubus dépasse de loin le simple objet à collectionner. A travers ces peluches, le Quotidien du Peuple célèbre « l’excellence manufacturière et la vitalité de l’industrie du jouet ». Xinhua renchérit : le succès de Labubu serait la preuve que la Chine est désormais capable de raconter des histoires « compréhensibles par le monde entier », à l’image de ce que furent les Pokémons pour le Japon dans les années 1990-2000.
Ce n’est pas la première fois qu’un produit culturel chinois s’exporte aussi bien à l’étranger : en 2024, un jeu vidéo chinois, « Black Myth: Wukong », est devenu l’un des titres les plus vendus de tous les temps.
Pourtant, à l’inverse de « Black Myth: Wukong », Labubu ne porte pourtant aucun marqueur chinois évident. Créé par l’illustrateur hongkongais Kasing Lung, élevé aux Pays-Bas, la créature est davantage inspirée des mythologies nordiques que du folklore chinois…
Ce faisant, Labubu contribue à donner une image plus branchée du pays communiste à l’étranger, y compris en Europe ou aux Etats-Unis, où l’opinion publique est plutôt méfiante à l’égard de la Chine. Sur ce point, l’application vidéo TikTok, conçue par la société chinoise ByteDance, joue également un rôle indéniable dans l’évolution de la perception des consommateurs vis-à-vis de la Chine. Sous cette perspective, il ne faudra pas s’étonner de voir de plus en plus de marques chinoises se frayer un chemin à l’international à l’avenir.