Comment comprendre le rapport des Etats-Unis à la Chine aujourd’hui ? Nous ne sommes plus dans l’opposition entre blocs héritée de la Guerre froide de l’ère de la présidence Joe Biden. Pour comprendre le monde selon Trump, on peut se référer à ce que celui-ci disait un an seulement après les événements du 4 juin 1989 à Tiananmen, dans un interview donné à Playboy en 1990 : « Lorsque les étudiants ont envahi la place Tiananmen, le gouvernement chinois a failli tout gâcher. Ils se sont montrés cruels, horribles, mais ils ont réprimé l’événement avec force. Cela montre la puissance de la force. »
Durant la primaire de 2016, Trump était revenu sur cette déclaration qui avait refait surface et l’avait complété par des propos qui éclairent parfaitement sur sa relation aujourd’hui avec la Chine et la Russie : « J’ai dit que c’était un gouvernement fort et puissant qui a réprimé les émeutes par la force. Fort ne veut pas dire bon. Poutine est un dirigeant fort, absolument. Je ne dis pas cela en bien ou en mal. Je le dis comme un fait. »
En qualifiant les manifestations étudiantes pacifiques d’émeutes et en mettant en exergue la force, indépendamment de toute considération éthique (en bien ou en mal), le Trump de 2016 annonce celui de 2025 qui organise une parade militaire pour son anniversaire, envoie la garde nationale contre des manifestants et déclare tout son amour pour Xi Jinping en tant qu’homme fort et redoutable négociateur, en écrivant le 5 juin sur Truth social : « J’aime le président chinois XI, je l’ai toujours aimé et je l’aimerai toujours, mais il est TRÈS DUR ET EXTRÊMEMENT DIFFICILE DE CONCLURE UN ACCORD AVEC EUX !!! ».
La tenue de la réunion du 11 juin à Londres est le signe de l’échec à implémenter les résultats des accords du 12 mai à Genève. L’accord de Genève avait échoué en raison des restrictions persistantes imposées par la Chine sur les exportations de terres rares (dont elle détient le quasi-monopole), ce qui a incité l’administration Trump à réagir en instaurant des contrôles à l’exportation empêchant les expéditions de logiciels de conception de semi-conducteurs, de moteurs pour avions de fabrication chinoise et des mesures de restrictions des visas étudiants (visant à la fois Harvard et la Chine).
Selon les termes du président américain sur son propre réseau social : « Notre accord avec la Chine est conclu, sous réserve de l’approbation finale du président Xi et de moi-même. La Chine fournira d’emblée les aimants complets et toutes les terres rares nécessaires. De même, nous fournirons à la Chine ce qui a été convenu, y compris [autoriser] les étudiants chinois fréquentant nos universités et collèges (ce qui a toujours été bénéfique de mon point de vue !). Nous subissons des droits de douane de 55 %, la Chine de 10 %. »
On peut s’interroger sur cet « art du deal » qui a fait monter les droits de douane de 30 à 55% pour les Etats-Unis entre Genève et Londres. En guise de réponse, un responsable de la Maison Blanche a expliqué le détail de ces 55 % qui représentent la somme d’un tarif « réciproque » de base de 10 % que Trump a imposé sur les marchandises importées de presque tous les partenaires commerciaux des États-Unis, auxquels s’additionnent les taxes préexistantes de 25 % sur les importations chinoises mises en place lors de son premier mandat, auxquels s’ajoutent enfin les 20 % sur toutes les importations chinoises en raison des mesures imposées à la Chine, au Mexique et au Canada, pour les « punir » de « faciliter » le flux de fentanyl aux États-Unis.
L’accord de Londres est temporaire. Il n’est pas certain que cela implique que les droits de douane ne reviendront pas à 135% à partir du 10 août. Un tel climat d’incertitude est préjudiciable pour les affaires : la Banque mondiale a réduit ses prévisions de croissance de 4 à 2,3 %, tandis que les exportations chinoises vers les États-Unis ont baissé de 34,5 % en mai.
En parallèle à ces événements qui attirent l’essentiel de l’attention médiatique, les réunions à Genève et Londres furent aussi l’occasion pour la Chine de continuer à ajuster sa politique commerciale avec certains pays ciblés de l’Union Européenne ; le but était moins d’organiser une forme discrète de « désescalade » que de chercher à réduire l’alignement de l’Europe à Washington en capitalisant sur les divergences grâce à une série d’engagements bilatéraux.
Début mai, Le Quotidien économique (经济日报), un journal d’État spécialisé dans les questions économiques et géré par le Département central de la propagande, a préparé la voie en présentant la Chine comme « un défenseur des normes commerciales » et décrivant l’Europe comme un partenaire économique « étroitement lié » et « hautement complémentaire » – en décalage volontaire avec la phraséologie de l’Union décrivant la Chine comme « un partenaire de coopération, un concurrent économique et un rival systémique ».
Dès la fin des négociations de Genève, Pékin a lancé une série de contacts bilatéraux avec la Suisse, la France, l’Allemagne, la Pologne (mais aussi le Danemark et les Pays-Bas), qui suivent la rencontre d’État entre Xi Jinping et le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez en avril. Lors de celle-ci, Xi avait exhorté la Chine et l’Europe à « maintenir conjointement la tendance à la mondialisation économique » et à résister à « l’intimidation unilatérale », c’est-à-dire, en « langage pékinois », à Washington. En pointant du doigt l’Amérique de Trump comme véritable « ennemi commun », la Chine espère convaincre l’Europe de continuer à s’ouvrir à ses exportations et d’investir dans le pays. Alors que les préparatifs du sommet Chine-Europe, prévu à Pékin au mois de juillet, se révèlent laborieux, rien ne dit qu’elle y arrivera.