Que la seconde présidence Trump abîme durablement l’image des Etats-Unis est évident. Selon la société de renseignement américaine Morning Consult, entre janvier et fin avril, les opinions favorables à l’égard de la Chine à l’échelle mondiale ont dépassé celles à l’égard des États-Unis pour la première fois depuis des années : à la fin du mois de mai, la Chine avait une note de favorabilité nette de 8,8, contre -1,5 pour les États-Unis – ce alors qu’en janvier dernier la note des États-Unis était supérieure à 20 et celle de la Chine en territoire négatif. 16 pays sont ainsi passés du statut de « pro-américain » au statut « pro-chinois », et ce en Occident même, avec des pays comme la Norvège, les Pays-Bas, l’Espagne, le Canada, l’Autriche et l’Allemagne.
Un symbole notable de cette destruction de la marque étatsunienne est l’attaque de la seconde administration Trump contre le fer de lance du progrès et de l’espoir américain, à savoir ses universités d’élite (Harvard, Stanford, Yale, Columbia) qui trustent depuis des décennies les premières places du classement mondial et qui font rêver tous les étudiants de la planète.
Tout d’abord, Donald Trump et la secrétaire à l’Éducation des États-Unis, Linda McMahon, qui a pour « bagage universitaire » d’avoir été cofondatrice de la « World Wrestling Entertainment », se sont donnés pour tâche de démanteler le ministère de l’Éducation.
Ensuite, l’administration Trump a cherché à sévir contre les universités qu’elle accuse de « wokisme » et « d’antisémitisme ». En mars, l’administration a suspendu plus de 400 millions de $ de financement fédéral à l’Université Columbia, obligeant les dirigeants de l’université à accéder aux exigences du gouvernement, notamment la suspension ou l’expulsion des étudiants ayant participé aux occupations pro-palestiniennes du campus. En avril, l’Université Harvard a publiquement refusé et critiqué ces demandes, affirmant qu’elles constituaient un abus de pouvoir gouvernemental illégal. En réponse, l’administration a suspendu plus de 2 milliards de $ de financement à Harvard.
Enfin, le 22 mai, la secrétaire du Département de la sécurité intérieure, Kristi Noem, a informé Harvard qu’il lui était désormais interdit d’accueillir des étudiants internationaux et le 28 mai, le secrétaire d’État Marco Rubio a annoncé dans un bref communiqué que les États-Unis « révoqueraient de manière agressive les visas des étudiants chinois ».
Une telle directive provient de la perception des cercles conservateurs que le Parti communiste utilise les étudiants chinois pour influencer la perception de la Chine, voler la propriété intellectuelle américaine et infiltrer les centres décisionnels. Même si ces révocations de visas ciblent « les personnes ayant des liens avec le Parti communiste chinois », le problème est que le sens donné à cette appartenance est difficile à évaluer dans un pays à parti unique où « l’encartement » se fait autant et plus encore pour des raisons de carrière professionnelle que de fidélité idéologique.
Le coût économique et scientifique à payer pour les Etats-Unis pourrait être très important. Au cours de l’année scolaire 2023-2024, la Chine a été le principal acheteur de services liés à l’éducation, dépensant 14,3 milliards de $ en 2023. Au cours de cette même année, les étudiants internationaux travaillant aux États-Unis ont contribué à hauteur de 43,8 milliards de $ à l’économie et soutenu plus de 378 000 emplois. Les travailleurs nés à l’étranger représentent 30 % de la main-d’œuvre américaine dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques. Plus de 80 % des titulaires de doctorat ayant soutenu une thèse en IA dans des universités américaines entre 2014 et 2019 ont intégré la population active américaine après l’obtention de leur diplôme. Enfin, la plupart des fondateurs des plus grandes entreprises américaines d’IA sont des immigrants, dont une majorité originaire d’Inde et de Chine. Les directives de l’administration Trump pourraient donc être contre-productives et devenir le plus grand obstacle à cette fuite chinoise des cerveaux qui a longtemps profité aux Etats-Unis pour assurer leur domination technologique mondiale.
Pour autant, il ne faut pas nier non plus l’emprise chinoise et l’entrisme du Parti dans ces universités d’élite américaines. Des universités comme Harvard mais aussi Syracuse, Stanford, l’Université du Maryland et Rutgers, ont joué un rôle de premier plan dans la formation à l’étranger des fonctionnaires que Pékin a commencé à organiser à grande échelle dans les années 1990.
Selon le Shanghai Observer, si l’on devait classer ces « écoles du Parti communiste chinois à l’étranger », la première place reviendrait à la Kennedy School of Government de Harvard. Li Yuanchao, ancien membre du Politburo et vice-président de la Chine de 2013 à 2018, a suivi un programme de formation de mi-carrière à la Harvard Kennedy School en 2002. Liu He, ancien vice-Premier ministre et principal négociateur commercial de Xi Jinping lors des négociations avec la première administration Trump, a obtenu une maîtrise en administration publique à la Harvard Kennedy School en 1995. Li Hongzhong, actuel membre du Politburo, a suivi un programme de courte durée à Harvard en 1999. La fille de Xi Jinping, Mingze, a intégré Harvard en premier cycle au début des années 2010 sous un faux nom. Parmi les autres anciens élèves de Harvard issus de l’élite figurent Alvin Jiang, petit-fils de l’ancien dirigeant chinois Jiang Zemin, ainsi que le fils de l’ancien membre du Politburo Bo Xilai, Bo Guagua, qui a fréquenté la Harvard Kennedy School de 2010 à 2012 et a obtenu un master en politique publique. Graham Allison, l’ancien doyen de la Harvard Kennedy School, est aussi l’auteur du fameux article du Financial Times de 2012 intitulé « Le piège de Thucydide s’est déclenché dans le Pacifique », qui évoquait la possibilité d’une guerre entre les États-Unis et la Chine tout en appelant à tout faire pour l’éviter.

Dans son discours, Jiang Yurong, reprenant les thèmes de la « communauté de destin », chers au président Xi Jinping, affirmait : « Si nous croyons encore en un avenir commun, n’oublions pas que ceux que nous qualifions d’ennemis sont eux aussi humains. En découvrant leur humanité, nous découvrons la nôtre. » Il a été depuis démontré que son père est le directeur exécutif de la Fondation chinoise pour la conservation de la biodiversité et le développement vert (CBCGDF), un fonds spécial en Chine alimenté par l’Etat, et qu’elle est entrée à Harvard grâce à une recommandation de Zhou Jinfeng, vice-président et secrétaire général de la même fondation.
En Chine même, les internautes ordinaires, loin d’y voir un message de paix œcuménique, y ont surtout vu une nouvelle démonstration de leur distance face au monde doré de la nomenklatura chinoise : « C’est pourquoi elle a pu obtenir une bourse pour aller au lycée au Royaume-Uni, puis à Harvard », a écrit un utilisateur sur Weibo. Ce discours réveillant le ressentiment contre les élites mondialisées d’une population pour qui l’éducation à l’étranger est non seulement hors de portée au niveau économique mais traduit de plus une forme de trahison de l’identité nationale : « J’espère qu’elle continuera à briller à l’étranger et qu’elle restera loin de nous ! ».