LE VENT DE LA CHINE

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Un an de présidence de William Lai : bilan et défis

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Son discours à la nation était très attendu. Le 20 mai, le président de la République de Chine à Taïwan, Lai Ching-te, a dressé le bilan de sa première année de présidence ainsi que la liste des nombreux défis auquel l’archipel sinophone fait face dans sa lutte pour préserver son autonomie démocratique face à la toute puissance économique et militaire chinoise.

Tout d’abord, Taïwan est un de ses rares pays avec un excédent budgétaire. Au cours de l’exercice 2024, les recettes fiscales ont atteint un niveau record de 3 761,9 milliards NTD, avec un excédent budgétaire de 528,3 milliards NTD. Le président Lai a annoncé que « l’excédent annuel sera utilisé dans les allocations budgétaires spéciales totalisant 410 milliards de NT$ pour non seulement soutenir les industries et stabiliser l’emploi, mais aussi renforcer l’économie, protéger les moyens de subsistance de la population, améliorer la résilience de la sécurité intérieure et garantir que les industries de Taïwan continuent de progresser régulièrement dans un contexte de changement de circonstances. » Un des points clefs du débat public est le prix de l’électricité, très bas alors même que Taïwan dépend à 95% des importations pour assurer ses besoins énergétiques. Besoins rendus particulièrement intenses par une industrie de haute technologie qui demande une masse considérable d’eau et d’électricité.

Un autre concept développé aujourd’hui à Taïwan, regroupant des enjeux à la fois environnementaux et sécuritaires, est celui de la résilience sociale : il s’agit de former, d’éduquer, de communiquer autour des menaces à la fois naturelles et militaires qui peuvent toucher le pays. Il s’agit d’apprendre à la population à se tenir prête à la fois à la survenue d’un séisme et à une attaque sur ses infrastructures. « Nous travaillons activement à renforcer la résilience de notre société en matière de défense pour répondre aux menaces pesant sur la sécurité nationale et […] protéger notre mode de vie libre et démocratique », a ainsi déclaré Lai. 150 milliards NTD sont donc destinés à renforcer la résilience nationale, mais les luttes sont féroces au sein d’un Parlement dominé par le Parti de l’opposition, le KMT, de plus en plus proche idéologiquement de Pékin.

Au niveau commercial, le principal défi de Taïwan est l’Amérique de Trump et ses taxes douanières punitives. Plus que tout autre pays, la survie économique de Taïwan dépend de la mondialisation des échanges et de la libre-circulation des biens. Selon le président Lai : « Taïwan partage des valeurs démocratiques avec ses partenaires démocratiques du monde entier. Combinées à notre adhésion aux principes du libre marché pour favoriser la prospérité mutuelle, ces valeurs constituent nos plus grands atouts. » Cependant, étant donné le caractère protectionniste et autoritaire de l’administration Trump 2.0, rien ne dit que les Etats-Unis soient encore des alliés fiables en ce qui concerne les fondements du libéralisme économique et politique : libre-circulation des biens, des gens et des idées. Quel sera le résultat des 90 jours de négociation pour Taïwan : est-ce que Trump finira par imposer plus de taxes douanières à Taïwan qu’à la Chine contre toutes les règles du bon sens géopolitique ? Ce n’est pas impossible.

William Lai est obligé de croire au bon vouloir de Washington, mais celui-ci n’est en rien garanti. D’où le besoin d’autres partenaires commerciaux : « Ces dernières années, Taïwan a mis à jour les accords de protection des investissements avec des pays tels que les Philippines, l’Inde, le Vietnam et la Thaïlande, et a signé un accord de promotion et de protection des investissements étrangers avec le Canada », a-t-il rappelé. Lai a aussi souligné la vitalité et l’importance des technologies de pointe à Taïwan en mentionnant l’ouverture d’usines d’Entegris à Kaohsiung, de Micron à Taichung, l’établissement d’un siège social de Nvidia à Taipei et de nouveaux bureaux Google. Une manière de rappeler que Taïwan est toujours le « cœur de silicium » du monde et qu’il ne compte pas perdre cette place.

Enfin, le président Lai a conclu sur l’importance de la démocratie et sur son avenir : « Nos générations passées, par leur courage et leur dévouement, ont résisté à l’autoritarisme et prôné la démocratie. Les jeunes générations d’aujourd’hui sont capables de s’engager activement en politique, de protéger la nation, de consolider la démocratie. Je suis convaincu qu’aucun Taïwanais ne renoncerait à son mode de vie libre et démocratique. Et aucun président ne peut abandonner les valeurs de liberté et de démocratie. » Par-là, William Lai met aussi la pression sur les futurs dirigeants taïwanais issus d’autres partis, notamment ceux du KMT, qui pourraient être tentés au compromis politique pour monnayer leur relation avec la Chine.

Au final, ce qu’il y a de plus remarquable dans ce discours, c’est justement que Lai n’a jamais énoncé une seule fois le mot Chine, ni un quelconque équivalent, ni le détroit de Taïwan, ni la mer de Chine méridionale. A lire son discours  on pourrait totalement oublier que la Chine a mené durant la première année de sa présidence davantage d’exercices militaires qu’au cours de toutes les vingt dernières années : « Épée conjointe-2024A » réalisés peu après le discours d’investiture du 20 mai 2024 ; « Épée conjointe-2024B » du 14 octobre 2024 pour marquer la fête nationale de Taïwan ; « Tonnerre dans le détroit-2025A » du 1 au 2 avril 2025, qui sera sans doute suivi d’un « Tonnerre dans le détroit-2025B » entre octobre et novembre.

La Chine n’est apparue qu’en réponse aux questions des journalistes qui l’interrogeaient sur la stabilité dans le détroit, William Lai répondant : « Je suis moi aussi attaché à la paix. Car la paix n’a pas de prix et la guerre n’a pas de vainqueur. Mais lorsqu’il s’agit de rechercher la paix, nous ne pouvons nous faire ni illusions ni rêves. Taïwan est heureux d’échanger et de coopérer avec la Chine, à condition qu’il y ait une dignité réciproque. Nous devons promouvoir les échanges à la place de l’isolation et le dialogue à la place de la confrontation. » 

Une déclaration de bonne intention qui se heurte à une fin de non-recevoir. En effet, le porte-parole du Bureau des affaires taïwanaises de la Chine, Chen Binhua, a affirmé : « Peu importe ce que disent les dirigeants de la région de Taïwan ou la manière dont ils le font, cela ne peut changer le fait que Taïwan fait partie de la Chine… ni arrêter la tendance inévitable à la réunification nationale ». Cela a le mérite d’être clair. 

Par Jean-Yves Heurtebise

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