LE VENT DE LA CHINE

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Russie et Chine unis pour un « nouvel ordre mondial » contre « l’Occident » ?  

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Le 7 mai, Xi Jinping est arrivé en Russie pour une visite d’État de quatre jours. Avant son arrivée, Poutine l’avait présenté comme son « invité principal » lors des célébrations du Jour de la Victoire marquant les 80 ans de la fin de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit de la 11e visite de Xi Jinping en Russie depuis son accession à la présidence en 2013 : les deux dirigeants se sont déjà rencontrés à plus de 40 reprises – un record qui doit autant à leur longévité autocratique à la tête de l’Etat qu’à leur vision commune d’un monde à (re)bâtir sans ou contre l’Occident.

Une nouvelle fois réunis à Moscou, Xi Jinping avait qualifié le lien entre les deux pays « d’indestructible » et ajouté que la Russie et la Chine devaient être des « amies d’acier ». Lors du discours d’ouverture, chacun s’est qualifié d’« ami », tandis que Xi Jinping a décrit leur relation comme « serrée et confiante, stable et résiliente ».

Lors du défilé militaire organisé par Vladimir Poutine le 9 mai, Xi Jinping a pris place à la droite de Poutine, aux côtés de 28 autres dirigeants étrangers, dont le Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, le Serbe Aleksandar Vučić et le Slovaque Robert Fico. Les préparatifs ont été perturbés par trois jours de frappes de drones ukrainiens, entraînant la fermeture des aéroports de Moscou pendant plusieurs heures.

En effet, cette célébration de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie est tout sauf consensuelle et rien moins que pacifique. Elle survient alors que le chancelier allemand Friedrich Merz, le président français Emmanuel Macron, le premier ministre britannique Keir Starmer et le premier ministre polonais Donald Tusk, sont arrivés à Kiev pour rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky et pousser le président russe à adopter un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours. Car l’attaque par la Russie de l’Ukraine, dont Moscou rejette toujours sur l’OTAN et sur « l’Occident » la pleine responsabilité, marque aussi hélas la fin de 80 ans de paix en Europe. Plus perturbant encore, la Russie de Poutine n’a eu de cesse ces derniers temps de dépeindre l’Europe elle-même comme l’héritière de cette menace nazie qu’il s’agirait à nouveau de vaincre en commençant par « dénazifier » l’Ukraine.

Un aspect particulièrement préoccupant de l’alliance entre la Chine et la Russie se situe à ce niveau de convergence idéologique. En effet, dans un article publié dans les médias russes et chinois, Xi Jinping a établi lui-même un parallèle entre « l’hégémonie » américaine d’aujourd’hui et les « forces fascistes » d’il y a 80 ans : « Les forces justes du monde, dont la Chine et l’Union soviétique, ont combattu courageusement et vaincu côte à côte les forces fascistes arrogantes. 80 ans plus tard, l’unilatéralisme, l’hégémonie et l’intimidation sont extrêmement néfastes. L’humanité se trouve à nouveau à la croisée des chemins. » Alors que le président russe est poursuivi pour crimes de guerre par la Cour Pénale Internationale, notamment pour sa responsabilité dans la déportation de milliers d’enfants ukrainiens, Xi Jinping a attaqué les « criminels de guerre » de la Seconde Guerre mondiale, décrivant la Chine et la Russie comme des « forces constructives pour maintenir la stabilité stratégique mondiale ». Par un renversement ahurissant de l’Histoire, la Russie et la Chine dépeignent de concert l’Occident comme le nouveau régime fascisant qu’il s’agit de renverser pour établir un « nouvel ordre mondial » plus « libre » et plus « juste »…

Cette proximité idéologique entre Moscou et Pékin s’exprime alors que la proximité économique a atteint des sommets depuis la guerre en Ukraine, cimentant dans les faits le traité « d’amitié sans limite » signé un mois avant le début du conflit : les relations bilatérales entre les deux pays ont augmenté de 66% depuis 2021, portées par les exportations chinoises de matériel à double usage civil et militaire (ordinateurs, équipements de télécommunications et de fabrication de puces électroniques, machines-outils) ; 40% des échanges internationaux russes sont désormais libellés en yuan alors que cela ne concernait que 2% de ceux-ci en 2022 ; le nombre d’étudiants chinois en Russie a presque aussi doublé sur la même période ; les exercices militaires conjoints, particulièrement dans le domaine aérien et naval, ont été multipliés par quatre depuis 2020.

Enfin, dans leur « déclaration conjointe sur la stabilité stratégique mondiale » du 9 mai, la Chine et la Russie semblent vouloir, de façon glaçante, prévenir les grandes puissances occidentales d’un risque d’embrasement nucléaire : « Les États dotés d’armes nucléaires, qui portent une responsabilité particulière en matière de sécurité internationale et de stabilité stratégique mondiale, doivent rejeter la mentalité de la guerre froide et les jeux à somme nulle […] et s’abstenir de toute action génératrice de risques stratégiques. […] Les deux Parties notent avec inquiétude que, dans un contexte de dégradation des relations entre États dotés d’armes nucléaires, qui a parfois conduit à la menace d’un affrontement militaire direct, une masse critique de problèmes et de défis s’est accumulée dans le domaine stratégique, et le risque de conflit nucléaire s’est accru. »

S’agit-il de viser la proposition de la France d’étendre le parapluie nucléaire à l’Allemagne et à la Pologne ? S’agit-il de cibler les nouvelles velléités sud-coréennes en la matière : selon un sondage récent, plus de 70% des Sud-coréens ​​soutiennent le développement d’armes nucléaires locales ? A moins que cela ne concerne le conflit en cours entre l’Inde et le Pakistan ? Ou bien un peu de tout cela à la fois. En tout cas, la situation ne manque pas d’ironie pour deux pays qui ont permis en sous-main la prolifération nucléaire vers l’Iran et la Corée du Nord

Par Jean-Yves Heurtebise

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