2 heures et 42 minutes. C’est le temps réalisé le 19 avril par le vainqueur du semi-marathon de Yizhuang, à Pékin (北京半马), dans la catégorie « robot humanoïde » (人形机器人, rénxíng jīqìrén). Sur la ligne de départ, parallèle à celle des 12 000 coureurs humains, 21 machines, accompagnées de leurs guides (en chair et en os), chargés d’ajuster leur trajectoire ou de changer leurs batteries. Si certains robots ont gelé dès les premiers mètres, d’autres ont dû abandonner en chemin, après des chutes plutôt cocasses ou des cas de surchauffe. Seuls 6 ont réussi à finir la course et surmonter un terrain inégal, des graviers, des dos d’ânes, des virages serrés et des pentes raides…
L’intérêt de ce premier semi-marathon humanoïde ? Au-delà du coup de publicité certain pour les entreprises participantes, il s’agissait de tester en conditions réelles la fiabilité de leur robot et la robustesse des algorithmes en fonctionnement à haute intensité sur une longue durée.
Le champion, Tiangong UItra, a été développé par le Beijing Humanoid Robot Innovation Center, une coentreprise formée en 2023 par la municipalité et un certain nombre de compagnies de la tech, dont Xiaomi Robotics, filiale du groupe mieux connu pour ses smartphones et ses voitures électriques, et UBTech Robotics, une licorne de Shenzhen. Il faut dire que le robot d’1,8m et de 53 kg partait favori, étant spécifiquement conçu pour la course avec une vitesse de pointe de 12km/h (un rythme de jogging pour les humains). De plus, il jouait en quelque sorte « à domicile », puisque la JV a son siège à Yizhuang, important pôle industriel de la robotique à Pékin et dans le nord-est de la Chine.
Son challenger, le modèle G1 développé par Unitree, une start-up de Hangzhou, soutenue par Meituan, a fait un flop : quelques secondes après avoir salué la foule de la main, il a trébuché et s’est effondré juste après la ligne de départ… Cette performance décevante a fait l’objet de nombreuses critiques de la part d’internautes ayant gardé en mémoire l’incroyable chorégraphie de ces robots lors du gala télévisé du Nouvel An chinois. Bon nombre d’entre eux semblaient réaliser qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant de créer un humanoïde convaincant. Ce tollé a poussé Unitree à se justifier : « les performances du robot peuvent varier considérablement en fonction de la personne qui l’exploite ou le développe ». En effet, ce n’était pas les ingénieurs d’Unitree qui étaient derrière les manettes, mais l’un de leurs clients.
Avec le recul, le choix d’Unitree de ne pas participer directement à cette « compétition » peut se comprendre, le G1 n’ayant pas pour vocation de courir des dizaines de kilomètres en continu. De fait, les compétences techniques de chaque entreprise sont différentes et peu comparables, chacune ayant en tête des usages bien spécifiques pour ses humanoïdes. Par exemple : les robots de service devront être dotés d’une paire de mains habiles et des capteurs polyvalents ; les robots industriels devront se montrer agiles et précis ; les robots utilisés à des fins militaires devront être robustes et endurants…
Contrairement à Tesla qui présente Optimus principalement comme un projet d’avenir et reste en phase de démonstration, les sociétés chinoises visent directement l’application commerciale dans des secteurs tels que la logistique, les soins aux personnes âgées, la sécurité, l’hôtellerie ou les services, misant sur des prix compétitifs et une production de masse dès 2025. Vers 2027, les robots entreront progressivement dans les usines et remplaceront les travailleurs dans les emplois pénibles ou à haut risque. Et ce n’est qu’en 2035 environ qu’on devrait voir des humanoïdes entrer dans nos maisons.
Ce qui est certain, c’est que les progrès futurs en robotique semblent plus susceptibles de se produire en Chine que nulle part ailleurs. Une étude de Morgan Stanley prénommée « Humanoid 100: cartographie de la chaîne de valeur du robot humanoïde » publiée en février, montre que 32 sociétés chinoises figurent au classement des 100 meilleures entreprises dans ce domaine*, avec respectivement 2, 21 et 9 entreprises dans les secteurs « cerveau » (semi-conducteurs, logiciels…), « corps » (capteurs, caméras, radars, lidars, connecteurs, batteries, câbles…) et « intégration » (ceux qui développent ou ont le potentiel de développer des humanoïdes). Les constructeurs automobiles (BYD, GAC, Xpeng, Xiaomi) sont particulièrement bien représentés dans cette dernière catégorie, conscients de l’opportunité que représente ces robots pour réduire l’intensité du travail dans leurs usines.
Cette forte présence chinoise dans le top 100 s’explique par un puissant écosystème manufacturier, des progrès rapides en intelligence artificielle et des politiques publiques favorables. Profitant de ces avantages, les entreprises chinoises entendent non seulement dominer le marché intérieur, mais aussi exporter leurs robots à l’international. Les robots humanoïdes seront-ils les prochains véhicules électriques ? Optimus et consorts n’ont qu’à bien se tenir.
* Deux sociétés françaises figurent au classement (Valeo et Dassault Systèmes), deux suisses (ABB, STMicroelectronics), une belge (Melexis).