LE VENT DE LA CHINE

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Vingt ans de tam tam

Bonjour bonjour, ou plutôt bonsoir
Mes plus plates excuses à tous ceux qui sont venus à ma rencontre entre dimanche et ce soir pour me lire, et ont trouvé porte de bois. Non, contrairement à ce que pensait Annie, bien inquiète ou peut être bourrelée de reproches à l’idée que j’aie pu si longtemps vous négliger, c’est que nous avons beaucoup à faire, entre un livre qui ne trouve pas le temps de se faire, une conférence occasionnelle, une étude où nous sommes en approche finale (sortie le 10 juillet, sur la position chinoise dans les négociations mondiales de lutte contre le réchauffement climatique), Le Vent de la Chine, notre lettre,  mes articles pour la presse écrite ou la radio et bien sûr, ce blog qui me passionne tant, mon rendez vous avec vous, sur tous les thèmes libres du moment, décalés, déjantés, le jardin secret, la plage de liberté, mais celle qui ne rapporte rien, ou presque, sauf le plaisir et l’enrichissement de trouver, garanti, un sens à sa journée. Epuisant, mais génial, et merci à vous, car sans vous, ce sens ne serait pas là. Et sans lui, à quoi bon ce formidable décor où nous sommes implanté ?  

J’ai donc préféré décaler le moment de notre rendez-vous, jusqu’à la soirée anniversaire du massacre de la place Tian An Men. Ce soir là, 20 ans en arrière, nous étions très soucieux, mais sans la moindre conscience qu’un  si grave événement était en route. Personne d’ailleurs ne s’en doutait. Pas même les décideurs, ni les « jeunes veaux n’ayant pas peur tu tigre », ni les tueurs. Brigitte, enceinte jusqu’aux dents de Jérémie (20ans, mathématiquement) était dans la fête dans un quartier diplomatique, où je venais la rejoindre pour lui ordonner (tant pis pour le machisme, mais je venais de faire le tour de la ville, et de voir toutes les scènes de guerre civile, tous les chars en mouvements) de rentrer à la maison, tandis que je me repliais vers les scènes de guerre, avec mon copain Jasper, grand correspondant britannique et l’acolyte de ma vie. Nous atterririons un peu n’importe comment à l’hôtel Minzu, haut bâtiment au bord de l’avenue Chang’an, où nous louerions une chambre, d’où nous surveillerions à l’étage les évolutions des chars, les mitrailleurs remplis de drogue qui tiraient dans tous les sens,  les yeux fous, tandis que la foule les insultaient des slogans de « sha shou » (assassins) ou de « tu ren » (bandits) tout en se repliant sous les salves dans les voies adjacentes….

Les choses ont énormément changé depuis – bien sûr,  c’est la moindre des choses.

En 20 ans sur place, jour après jour, j’ai vu un combat silencieux entre deux forces que pour emprunter à Blaise Pascal, je voudrais qualifier de violence et vérité. Encore que le second terme ne joue pas vraiment, car c’est d’un peuple et non de théologiens ou de politiciens que nous parlons. Donc, plutôt entre violence et vie, violence et troupeau, un troupeau habité par l’esprit de clan. Par une philosophie dévoyée de Confucius, et qui dit qu‘une chose à sa place et une place à chaque chose ‘,  et remplacez la chose par l’homme.

Ce qui m’a terrorisé en révisant mes connaissances et mes idées la semaine passée,  à propos de ce 20ème anniversaire (pour les articles commandés par mes journaux que sont Dernières Nouvelles d’Alsace, Sud Ouest, Tribune de Genève, 24 Heures de Lausanne et Ouest France, et mes radios dont la belge RTBF), c’est la conclusion que cet Etat héritier d’un putsch avait réussi à convaincre toute une génération, y compris le million ou deux de jeunes si pleins de feu sur la place Tian An Men, si pleins de morale, prêts à se sacrifier pour la patrie, la nation, la liberté, tous ces thèmes moraux : à les convaincre de passer à l’autre extrémité du spectre, à voter pour le fric, la prospérité et ne plus jamais se mêler des affaires des parents, de la politique, de l’Etat : sois riche et tais toi.

Des jeunes parents ont accepté sans sourciller de faire cela pour leurs enfants, pour l’avenir, pour leur voiture et leurs traites, pour ne pas être ostracisés, pour se faire accepter du clan : 指卢为马, pour les intimes.

——

Bref, ce soir, je suis allé à vélo sur la place Ttian An Men noire de police. A vélo, après le boulot, histoire de faire moins voyant. A toutes fins utiles, j’ai eu l’idée de recourir à un itinéraire trouvé par hasard 20 ans plut tôt, du temps où il s’agissait d’arriver à la place en évitant les barrages de police : prendre l’avenue Chang ‘An jusqu’au club Chang’an, tourner à gauche dans la rue des concessions, reprendre 500m plus loin à droite, une rue qui garde un style européen des années 30, oubliée et pourtant (aujourd’hui) richissime et marbrée, statuée, complètement squattée par les administrations et les apparatchiks. Elle était déserte, à l’exception de quelques enfants qui fouaient, aussi inconscients aujourd’hui que 20 ans en arrière, et deux jeunes flics suants jouant au badminton, qui en oublièrent de surveiller l’étranger déboulant en vélo ‘Giant ».

20 mètres plus loin, c’était exactement cela, la descente par un petit escalier sur la façade Est de la place, comme ce que je voyais 20 ans en arrière, sauf les 2 millions de manifestants et devant moi un barrage de policiers à franchir, une dizaine en uniformes verts de la police armée (un tous les deux mètres), heureusement orientés dans l’autre sens.

Le tour de la place fut vite fait, sur l’asphalte ou les trottoirs en cours de réfection en marbre luxueux (merci, plan stimulus de relance de l’économie à 500 milliards de dollars). Je roulais à contre sens (c’était le plus sûr), donc, d’abord, vers le sud et la place Qianmen. Parfois vide de passants, et parfois bondé, mais toujours à l’intérieur des barrières. Une petite partie des passants pouvait être soupçonnée d’être des agents, voire provocateurs. Tous les dix mètres, un agent de corps de police qui se relayaient : chengguan (police municipale), wujin (police armée), uniformes bleus, kakis, bruns. Dans les ruelles de par derrière, à côté du flambant neuf musée de la police copiant les colonnes doriques d’un temple grec (on prend sa légitimité là où ou peut), les bus noirs grillagés, clônes des cars de CRS de notre jeunesse estudiantine attendaient.  A chaque intersection et chaque angle de la place, un gaillard attendait, poil ras, en T-shirt fantaisie et blue jean, jambes écartées et bras croisés derrière le dos à la rambo. Certains avaient un parapluie que je n’eu point souhaité dans mon pexlus solaire, ni dans mon fondement.  

Je vis même parfois des filles belles comme le jour, en uniforme, échangeant avec les collègues tous aussi jeunes, comme si leur métier était le plus social et moral du monde – comme si le régime avait raison.

Côté foule, les gens étaient indiscernables, tentant avec grand succès de ne pas se faire remarquer. Tous regardaient droit devant eux, et portaient sur leur corps une raison indiscutable d’être là : sortant d’un des magasins de souvenirs, ou courant vers leur bus. Seulement parfois, quand ils croyaient qu’on ne les voyait pas, ils obliquaient du regard vers le centre de la place déserte, à l’exception du mausolée de Mao, du monument aux morts révolutionnaires  (occupé autrefois sur des trois terrasses par des milliers d’étudiants).

Au milieu de la place, seuls, bien visibles, comme les acteurs d’une chorégraphie composée par quelque artiste névrosé, ou un politicien vieillissant, quatre policiers montaient la garde : à ce qui me semble, mais je n’en suis pas trop sûr, vu la distance et mon propre mouvement cyclique, quatre policiers d’armes et de corps différents, en uniformes variés.

J’ai poursuivi mon chemin, méditant sur les différences entre hier et maintenant. Les costumes étaient différents, mais les regards étaient les mêmes. Tous étaient depuis 20 ans, et pourquoi pas 1000 ou 100, en train de répéter et écarter, recommencer pour mieux faire, la meilleure réponse à l’ordre de l’autorité, et comment un jour échapper à la malédiction du zhi lu wei ma, comment apprendre à appeler un chat un chat, condition nécessaire pour changer de cycle. 

Trois km plus loin, j’avais déposé mon cycle pour prendre une bière chez Thierry, mon excellent ami du « Beermania », un bar à recommander à tout prix sur Sanlitun nan, un bar unique en son genre. Nous parlions de quotidien en tout genre, et une amie m’expliquait son sentiment, sur la timidité à toi, lecteur, pour répondre à ces idées, comme si vous (toi) et moi n’étions pas au même niveau. Mais moi, pour lâcher ces lignes, j’ai besoin de vous (toi) : commentaires plus que bienvenus, nécessaires, pour l’échange. Et qu’est-ce que ca peut faire ? Quelques lignes ? en retour ? Même le fait d’avoir vécu tout çà, nous rapproche, car ça a été moi, mais ça aurait pu être toi !

A bientôt

ps : notez quand même la transmission de pensées : ce soir, nos amis de leur  contrôle (de la pensée) font des heures sup, et plusieurs portails et sites des plus importants, afin d’éviter, précisément, que se diffuse, telle la grippe porcine, telles les idées incommodant la machine à réfléchir pour tout le monde, sur le sens de la vie, sur le passé, sur l’organisation du monde local…

 

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