LE VENT DE LA CHINE

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J-3 : Pékin – L’éclipse du 1er août

Le jour de l’éclipse du premier août 2008, nous étions piétons, puisque notre voiture porte une plaque à numéro pair. Faute de motricité, nous avons cherché le meilleur endroit de la ville : la Colline au charbon, plantée face à la porte nord de la Cité Interdite.

Vue imprenable sur Beijing depuis ce spot en plein coeur de la ville


L’empereur Jaune va-t-il au charbon ?

Arrivés au pied de la colline, entamant l’ascension des 45,7m de dénivelé, on commence par s’interroger sur ce sobriquet de colline « au charbon ». Bizarre et injustifié, de la part d’un site construit à partir de 1420 pour le plaisir de la Cour, et où aucun matériau si vulgaire n’aurait pu traîner. Le site était tellement interdit aux domestiques et prolétaires, qu’il ne fut ouvert au public qu’en 1928, 17 ans après la chute du dernier empereur. Le seul matériau humble et sale de ce jardin de 23 hectares, aura été la glaise hissée par milliers de paniers par les coolies ou esclaves, creusée des douves de la Cité Interdite et des lacs Beihai, Houhai, Shichahai, les étangs de plaisance.

Les Chinois lui donnent le nom de 景(Jing), ou « mont de l’observatoire« , comme pour suggérer que le terme aurait été forgé pour ce site, d’où l’empereur pouvait indifféremment admirer sa capitale (京 jing), ou le soleil (日, ri).

Comme tous ces espaces de la Chine antique, à vocation religieuse ou administrative, le parc réunit des éléments immuables selon des règles strictes de géomancie, donc cinq pavillons (quatre points cardinaux et un sommet), des aires de gazon, parterres de fleurs, bouquets de pins et arbustes centenaires, ainsi que des roches au contour tourmenté, sauvagement naturel, arraché à quelque cascade pour agrémenter l’environnement impérial : comme pour célébrer leur subjugation par l’homme chinois.

Sur l’entrelacs de sentiers et d’escaliers subtilement tracés, trois vieux habitués se retrouvent dans la touffeur du soir, qu’ils tentent de conjurer par les trilles de leurs flutes et flageolets, à l’ombre d’un bouquet de huaishu.

Pékin vous remercie de votre suée

Parvenus au sommet, quelques dizaines d’amateurs nous attendent, motivés et équipés – genre de fan club astronome, équipés de caméscopes, appareils photos et lunettes pare-soleil aux verres fumés en tous genres.

Vue sur la Cité Interdite, porte nord

En attendant le phénomène spatial, on peut observer les centaines de toits rectangulaires et convexes, vernissés jaunes de la Cité impériale aux 9999,5 pièces. On peut aussi distinguer toute la ville intra muros, construite sous hauteur limitée, n’autorisant les gratte-ciel qu’à partir du troisième périphérique, ce qui confère à Pékin son relief d’une assiette dotée d’une cheminée centrale, dont nous occupons la cime.

Vue sur le lac Beihai et quelques grattes-ciel de la ville

Voici donc ce regard panoramique sur de nombreux édifices reconnaissables au passage, et bien plus encore d’inconnus.

Le ciel qui depuis deux jours, s’était levé, toujours gris acier mais en plafond plus haut et agrémenté d’une agréable brise, se couvre soudain d’un voile d’or. Des rais solaires en « V » inversé partent des astres en collision, traversent la couche des nuages et se posent sur les toits, l’eau anthracite du lac Houhai. L’horizon s’obscurcit soudain, alors qu’une impression d’ébriété légère nous gagne.

Eclipse sur la ville de Beijing

L’éclipse chinoise est elle une parabole ?

Je demande à des adolescents autour de moi, leur raison d’être là. « Pour observer l’interférence des forces du ciel, sur le jeu normal des forces de la nature », me répond le premier avec un sérieux imperturbable. « pour vérifier de mes yeux, le mécanisme de l’éclipse, de la théorie à la pratique », me dit l’autre – me rappelant ainsi à quel point cette Chine jeune adore les sciences.

Au plus fort de l’éclipse, dans l’horizon crépusculaire où l’orbe incandescent est totalement « mangé » (selon l’expression mandarine) par la Lune, une jeune employée d’une corporation financière publique me déclare, sur un mince sourire : « quand le soleil disparaît, c’est pour nous un signe que les choses ne vont pas bien. Beaucoup de gens pensent que les Dieux sont irrités, et souvent, ils sentent alors eux même une sourde colère. »

Extraordinaire, c’est la théorie du « mandat du ciel » que me sort cette jeune, et de la possibilité du prince du moment de perdre son trône, suite à trop d’excès, corruption et dérèglements sociaux et naturels. Comme pour aténuer l’audace de sa remarque, la demoiselle se met immédiatement à ramer dans l’autre sens :

« Personnellement, je n’y crois pas… Je suis moderne… Nous les jeunes, croyons en la science, pas en ces histoires de grand-mères »… « Regardez donc » – elle me montre, sur son Iphone à grand écran, un panorama stellaire antique : « cette étoile là est celle de l’empreur, et elle n’est pas le soleil – c’est bien la preuve que même en tradition, ce dernier ne peut être concerné par une éclipse »…

En fait, je remarque combien cette aimable belle doit jouer fin, pour tout concilier, et protéger ses trois valeurs antagonistes : son héritage confucéen, sa scolarité socialiste, et son plaisir simple d’échanger avec l’étranger, sans choquer personne !

Aux innocents les mains pleines

Alors que la lune se désengage du soleil par sud-sud-ouest, la couche de brume s’est suffisamment dégagée pour nous permettre de deviner un peu plus nettement les contours de l’éclipse à travers nos lunettes spéciales.

En pleine observation, je sens une petite main effleurer mon avant bras à deux ou trois reprises, tandis que monte vers moi l’exclamation : »叔叔, shushu » ! (« oncle »)… « tu me prêtes tes lunettes », « je peux voir »?

Je me dis que pour toute une classe sociale chinoise, la plus jeune, nous étrangers faisons partie de leur cadre, sommes intégrés dans leur grande famille, laquelle se confond désormais avec celle humaine, dépassant les vagues confuses du nationalisme et de la fièvre cocardière. Je ressens avec fierté cette représentation d’un monde unique chinois, où nous avons place.

Nous échangeons donc les uns les autres nos instruments, non sans surprises. Un garçonnet de 10 ans à peine, depuis tout à l’heure, se pavane avec l’ustensile le plus vieillot et ridicule de tous : une disquette de 5 pouces, ou plutôt la moitié d’elle, feuille hémicirculaire de plastique marronnasse découpée aux ciseaux. Je l’essaie, pour constater que c’est de loin le meilleur outil, celui qui restitue dans leurs lignes les plus nettes les contours magiques de la lune et du soleil intersectés.

Cette image m’apparaît biblique, comme la multiplication des pains et des poissons par le Christ, ou le texte des Béatitudes, dans son dénuement princier : aux innocents les mains pleines !

Nos deux questions du jour :

1° pourquoi le tumulus porte t’il ce surnom bizarre de « colline au charbon »?

2° (plus facile) pourquoi la Cité comporte t’elle 9999,5 pièces ?

A la première réponse juste, à l’une ou l’autre, une surprise vous attend !

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