LE VENT DE LA CHINE

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Depuis la France : regard sur une Chine dans l’oeil du typhon

Bonjour, Me voilà en pleines vacances, à pieds joints, sans vous avoir offert avant de partir, un blog estival, la goutte de la laitière : péché impardonnable…
Le fait est que les dernières semaines d’avant ce baisser de rideau, ont connu pour nous une activité frénétique. Voyage à Shanghai, avec la chorale dont je suis ténor (9 concerts en 30h), sans compter une conférence devant une mission de la région Pays de Loire, une autre conférence devant la Chambre de Commerce à Pékin, divers articles pour mes différents journaux dont je suis le correspondant, la sortie hebdomadaire du Vent de la Chine, conclu par un numéro estival double… on a fini sur les rotules, et voilà pourquoi votre fille est restée muette. Mais pas pour longtemps !
A présent, après 8 bons jours pour décompresser en Aquitaine, je peux laisser cette petite trace, et tirer un genre de bilan provisoire sur ce qui nous intéresse tous : la Chine, et où va-t-elle?
D’une manière dépassionnée, sans défaut de perspective, je peux dire que l’on a vu durant ce premier semestre une explosion notable des dérapages sociaux, d’autant plus remarquable que la censure gomme systématiquement toute information susceptible de nuire à la sacro-sainte idéologie de l’harmonie sociale. Infanticides, suicides, grèves qui, pour la première fois dans l’histoire du pays ont abouti. Attentats contre des juges, où la population acclame l’agresseur en héros, et conspue la victime comme pourri. Avec 6 mois de retard, on nous annonce que 9 personnes ont été tuées dans une banlieue de Pékin, entre novembre et décembre. Cette admission (certainement âprement négociée entre presse et censure) étant là pour faire passer la nouvelle inouïe, que 100 des 202 faubourgs de Pékin seront emmurés derrière des fortifications de barbelés, avec postes de garde et miradors d’ici le 31 décembre, et les autres ensuite. Ce qui rappelle, au passage, quelques petits souvenirs :

         – En 2003, lors de la courte mais brutale épidémie de SRAS, la fermeture provisoire de toutes les villes et villages de Chine à tout étranger non du lieu. L’un d’eux avait même coupé la route nationale de Pékin vers le  Nord-Est, d’une tranchée d’1,5m de fond… Ceci arrivait, tant sous les instructions du pouvoir central que par un réflexe atavique de survie venu du fond des âges : les villages fortifiés au Nord de Pékin sont là pour nous rappeler cette tradition de fermeture face au danger, d’organisation sociale close avec barrière de l’octroi, portes de la ville, tocsin etc.

         -En Europe même, aux temps des pestes noires et autres catastrophes de santé, la seule réponse était la fermeture de la ville, avec contrôle étroit des entrées et sorties, jusqu’à des temps meilleurs.
Ce qui nous trahit un peu l’état d’esprit qui traverse la Chine, sous le voile d’harmonie. La peur. L’incertitude du lendemain. Et un gouvernement qui, derrière ses hauts murs, se prend moins pour un gagnant-né, que pour une équipe s’apprêtant, non sans courage, à livrer une bataille décisive.
Honnêtement, la fermeture des banlieues de Pékin est une double ânerie, dénoncée comme telle sur la toile par les intellectuels les plus lucides:
d’une part, elle contrevient à la constitution, et au projet mille fois répété d’annuler le système du Hukou qui lie le paysan à sa glèbe comme nos serfs du Moyen-Âge. Elle discrédite les promesses de l’Etat d’octroyer plus de justice sociale envers les pauvres paysans face aux riches citadins ;
d’autre part, si elle est systématisée, elle fait s’accumuler 10 Millions de 民工 
mingong (migrants) aux portes des villes où ils ne peuvent plus entrer, faute du passe obligatoire. Elle le fait au nom de la tolérance zéro et de la lutte contre la délinquance.
Mais un tel barrage aux portes de la fortune, pour ces pauvres, est une trahison qui leur confirme qu’ils doivent prendre leur destin en main, sans attendre le secours de l’Etat et de la loi : encouragement à plus d’incivilité encore. En d’autres termes, ce type de mesure trahit l’impuissance de l’Etat, et est l’équivalent, en politique sociale, d’une coupure du circuit de refroidissement sur une centrale nucléaire.
Heureusement, il n’y a pas que cela. Le Conseil d’Etat a aussi ordonné une hausse des salaires de 10 à 20%, ce qui techniquement peut se faire en haussant dans chaque ville le salaire minimum. Il augmente un petit peu la capacité pour les Chinois de placer leur argent en bourse étrangère, par le biais des fonds QDII : ce qui constitue pour l’épargnant une assurance contre les délits d’initiés et erreurs de gestion  de la bourse locale. Il construit à toute vitesse des centaines d’hôpitaux, des milliers de dispensaires, des dizaines d’hôpitaux psychiatriques et déploie tout aussi vite les comptes individuels de sécurité sociale, pour couvrir sous 10 ans l’ensemble de la population. Depuis peu d’années, il prend déjà en charge à 100% les frais scolaires en milieu rural.
Et surtout, il met la dernière main à son 12ème Plan, qui promet un tournant à 90° dans la pratique sociale. Du moins, les tam-tams d’avant l’été sur ce projet encore secret, étaient assez impressionnants. On nous annonçait une redistribution des privilèges des consortia d’Etat (aciéries, cimenteries, électronique, automobile) vers les PME, et des milliardaires vers les classes défavorisées. On nous parlait d’une réorientation radicale, vers une économie durable. Ce plan serait celui de la nouvelle génération et non plus de Hu Jintao, à qui l’opinion chinoise reproche de n’avoir rien changé à la règle de fonctionnement inégalitaire de ce pays
Idem, ce plan marquerait un changement dont nul ne mesurerait l’ampleur, en termes de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Dès maintenant, un système de mesure du PIB vert, intégrant les dégâts environnementaux et le coût à long terme de toute « valeur ajoutée » serait en vigueur, utilisé notamment dans le barème d’avancement des fonctionnaires. Un système national, mais néanmoins contraignant de quotas d’émissions de CO² pourrait voir le jour d’ici 2015. De même, la Chine accueille en septembre  l’ultime meeting mondial de préparation au sommet climatique de Cancun (Mexique, novembre 2010) et a déjà fait comprendre qu’elle s’apprêtait à offrir des concessions à ce monde qu’elle a si cruellement déçu l’an dernier à Copenhague. Concessions, précise t’on, dans le domaine des engagements contraignants de baisse d’émissions.
Tout cela est nouveau. Bien sûr, ce n’est que du bruit, et je n’ai aucun doute que les conservateurs et vieux leaders anciens gardes rouges misent sur l’égoïsme national, tant par conviction que par opportunisme, ce système les ayant enrichis au-delà de toute mesure. Mais les choses sont réellement condamnées à changer, au nom de deux faits nouveaux, que sont l’ébullition négative du tissu social chinois qui n’en peut plus, et l’émergence dans deux ans d’un nouveau leadership de la 6ème génération, probablement Xi Jinping et Li Keqiang, qui aura la charge d’appliquer ce XII. Plan et qui doit donc l’inspirer profondément – afin de disposer, une fois au pouvoir, de manettes qui fonctionnent.
Or, dernier point, c’est Li qui est chargé de la rédaction de ce plan, et c’est lui parmi les grands qui est le moins avare de détails sur ce programme, son enfant. Et voici ce fait qui moi, m’intrigue : Li est le fils spirituel de Hu Jintao, l’homme présumé avoir juré de rendre la Chine dans l’état politique exact où il la reçut 8 ans plus tôt, hostile à toute prise de risque. Normalement, il devrait poursuivre l’engagement conservateur de son protecteur. Il n’en fait rien. Peut-être parce que lui a compris que sans grands changements, la Chine explose, et que sans risque de sa propre part pour entraîner le pays dans cette voie, lui-même n’a aucune chance d’exercer un jour le rôle de premier plan auquel il aspire.

Voilà, cher lecteur inconnu, devant quoi se trouve la Chine, et sur ce, je vous souhaite des vacances belles, méritées, où que ce soit sur Terre. Et merci de participer à ce débat auquel je vous invite.

 

 

PS : Quand je vois la France embourbée dans ses histoires de financements clandestins des partis, et de tolérance zéro face aux défavorisés, de bavures policières et de banlieues qui s’embrasent, je me dis que notre pays, si beau et si sophistiqué au demeurant, n’a aucune leçon à donner à la Chine…

 

 

 

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