LE VENT DE LA CHINE

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LE BLOG

De la québécoise Marie-Lou

Préambule : théâtre et politique par grand froid

Bonjour bonjour,

Par un week-end glacial, loin des températures de saison, je vous parlerai de deux choses : des quatre représentations cette semaine à Pékin de « À toi pour toujours, ta Marie-Lou », du Québécois Michel Tremblay, et de l’éditorial de Wen Jiabao au Quotidien du peuple ce jeudi. Deux sujets de nature si différente !

Lisez donc l’un ou l’autre, ou les deux selon votre intérêt, et n’oubliez pas — laissez s’il vous plaît un petit mot en sortant : ça coûte peu à faire, ça fait toujours plaisir, et ça peut rapporter gros !


Les planches : le Théâtre des Lanternes à Pékin

Les planches d’abord !
La troupe amateur du Théâtre des Lanternes nous donne son show annuel, fruit de mois de travail d’équipe extrêmement sérieux. Comme ils ne sont pas nombreux, on peut saluer chacun : Perrine Peautré, dans le soliloque Tu sur la solitude ; Christophe Dupont, Evelyne Macera, Cécile Déodato et Agathe Allain, qui se colletaient avec la pièce très glauque et désespérée de Michel Tremblay, « À toi pour toujours, ta Marie-Lou », sous la direction magique d’Isy Chautemps, toujours prompte à pousser les acteurs dans leurs derniers retranchements.


Une scénographie immobile et oppressante

Imaginez un espace où les quatre protagonistes ont une place fixe, en carré : les deux parents devant, les deux filles derrière, une place qu’ils ne quitteront pas de toute la représentation — sauf pour le dénouement, où le père et la mère se lèvent pour l’affrontement ultime, taureau contre toréro.

Marie-Lou tricote interminablement, Léopold reste figé dans sa passivité. Manon serre son crucifix ; Carmen s’habille plus « olé-olé », sans grâce véritable. Le décor — cuisine québécoise ouvrière des années 1950 — est relayé par une vidéo floue suggérant un crucifix.

En principe, un tel minimalisme aurait dû induire l’ennui. Il n’en fut rien. La haine, la division et la solitude tinrent la salle sous tension. Tout était intériorisé. La langue joual, avec ses accents rugueux, renforçait l’étrangeté pour un public habitué au français « métropolitain ».


Un drame hors du temps et de l’espace

On finit par comprendre que les quatre personnages ne sont pas dans un espace physique réel : ils ne communiquent qu’en pensée, ou par le rêve. Les parents sont morts dix ans plus tôt dans un accident de voiture, après une violente dispute.

Les deux filles, Manon et Carmen, s’opposent sur l’interprétation du drame : suicide et meurtre pour l’une, malchance pour l’autre.


La misère affective du couple

Ce qui se dévoile sur scène est la misère affective du couple. Marie-Lou, élevée dans la frigidité et le rejet du corps, trouve refuge dans la religion. Léopold, grand et fruste, se noie dans l’alcool, seul, sans « chums ».

Qui est coupable ? Tout le monde et personne. Le temps, l’histoire.
Chez Tremblay, l’enfer, c’est l’autre.

La pièce s’inscrit dans le rejet des valeurs petites-bourgeoises et dans l’anticléricalisme du Québec des années 1970, au moment où l’Église perd son emprise morale.


Haine conjugale et extinction de l’énergie vitale

Entre Marie-Lou et Léopold, il n’y a que haine et accusations. On débat de tout : télévision, enfants, argent, alcool. Cette haine est l’envers de l’incapacité à aimer, du désespoir de ne pas avoir su vivre.

L’énergie vitale — huoli 活力 — a disparu. Les mains tendues sont rejetées. Ils vont ensemble, presque fraternellement, vers la mort.


Le destin des filles : reproduction ou fuite

Manon reproduit la folie maternelle, crucifix en main, hurlant sa virginité sous cloche. Carmen, elle, se jette dans la liberté sexuelle, le métier, la route — sans que Tremblay prétende qu’elle a trouvé le bonheur. Mais elle le cherche. Elle est la seule encore vivante.


Accueil du public et résonance intime

Malgré cette vision amère, les acteurs furent ovationnés et rappelés trois fois. Le profit de la représentation est allé à l’association Les Enfants de Madaifu.

À la sortie, une jeune femme demandait anxieusement :
« Mais est-ce vraiment uniquement comme ça, le mariage, vingt ans plus tard ? »
J’ai pu la rassurer.

Toutes les histoires n’ont pas de happy end. Comme disait Villon :
« Comme on fait son lit, on se couche. »


Transition : de la scène à la politique

La politique à présent.


L’éditorial de Wen Jiabao : une énigme chinoise

Le 15 avril, une énigme de belle grandeur : un éditorial du Quotidien du peuple, signé Wen Jiabao, intitulé
« Souvenir de Yaobang, à mon retour à Xingyi ».

En apparence, un texte intime, presque poétique, écrit lors d’une inspection dans le Guizhou frappé par la sécheresse.


Les dirigeants chinois en représentation permanente

Il faut relever cette pratique du régime : envoyer les plus hauts dirigeants sur tous les fronts. Wen Jiabao était encore à Yushu après le séisme ; Hu Jintao écourtait sa visite américaine pour faire de même.

Cette obsession tient autant à la rivalité interne qu’à la nécessité populiste d’exister sans légitimité électorale.


Hu Yaobang : une mémoire interdite

À Xingyi, Wen se souvient de son premier voyage en 1986 aux côtés de Hu Yaobang, ancien secrétaire général du Parti, réformateur et figure centrale du Printemps de Pékin 1989.

La date de publication — 21ᵉ anniversaire de sa mort — n’est pas anodine. Hu Yaobang reste frappé d’anathème depuis Tian’anmen.


Un ton inattendu pour un Premier ministre

Wen Jiabao adopte un ton élégiaque :

« L’émotion scellée dans mon cœur déferla et refoula comme une marée… »

Il évoque ses visites sur la tombe de Hu, comme sur celle de Zhao Ziyang, autre figure réformiste déchue.


Wen Jiabao, fidèle survivant du système

Wen fut l’assistant de Hu Yaobang et de Zhao Ziyang. Il appartient à la génération réformiste des années 1980 qui rêvait d’une Chine démocratisée — rêve brisé entre 1987 et 1989.

Il n’a jamais renié ses fidélités, tout en survivant politiquement jusqu’au sommet du pouvoir.


Hypothèses : signal politique ou confession morale ?

S’agit-il d’un signal réformiste ? Peu probable.
D’un chant du cygne ? Pas convaincant non plus.

Wen Jiabao a encore deux ans de mandat, un bilan solide, et aucune indication claire d’éviction.


Une dernière lecture : la morale personnelle

Reste une hypothèse plus intime : Wen utilise le pouvoir de sa fonction pour rendre hommage à son maître. Il évite le débat politique, se réfugie dans la poésie, l’émotion, la mémoire.

Un geste à la fois habile et sincère.
Un acte de fidélité dans un monde dangereux.
Un dernier espace d’innocence.

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