Pour bien commencer cette rentrée, je vous propose un extrait de mon nouveau livre « Cent drôles d’oiseaux de la forêt chinoise », un recueil d’une centaire d’histoires – aventures insolites vécues par des Chinois.
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Kunshan – Un nouveau voyage à l’Ouest
Du 28 mars au 3 avril 2007, à Kunshan (Jiangsu), dix patrons de groupes shanghaïens se soumirent au grand oral de toute leur vie.
Sous l’égide de l’Institut de psychologie de l’université de Fudan, ils durent vivre seuls en cellules de cinq mètres carrés, sans téléviseur, ni réfrigérateur, ni téléphone mobile, ni livre.
Leurs deux repas par jour étaient végétariens et sans alcool. Le lever était à six heures, le coucher à vingt heures.
Trois questions simples leur avaient été posées, à propos de l’entourage de chacun, à différentes étapes de leur vie : qu’avait-il fait pour eux ? Qu’avaient-ils fait pour lui ? Que se devaient-ils mutuellement ?
Chaque heure et demie, un tuteur psychologue venait voir chacun, écoutant sa réponse durant quelques minutes. Pendant cette semaine, ce furent 63 confessions successives que chacun dut rendre, chacune conclue par ce mot du tuteur sphinx : « Merci d’avoir confié votre secret. ».
L’exercice était dérivé du vipassana indien, discipline millénaire de méditation destinée à faire retrouver par le « silence noble » le sens de la vie.
Le résultat dépassa toutes les espérances. Patron d’une joint-venture allemande, Liu put réaliser que son style de commandement prussien à la baguette ne servait qu’à masquer sa propre angoisse native. Et comme il ne la ressentait plus, il se mit à un style de management plus à l’écoute, au grand mieux-être du personnel dont la productivité augmenta.
Habitué des restaurants, Song, nabab de l’immobilier ressortit allégé de deux kilos et de son cholestérol, et garda le goût de la frugalité – la gloutonnerie était matée.
L’épreuve fut la plus dure pour le professeur Su, brillant bavard qui avait passé sa vie à fuir en faisant des discours : il ne dut qu’à son exceptionnelle fierté de ne pas tout planter là pour aller pérorer ou courir un jogging – activités bannies. Faute de détente, confronté à son passé rejeté, toujours au bord des larmes – insomniaque –, il ne reçut un début de paix qu’au troisième jour, avant de retrouver, au quatrième, le fil d’Ariane vers sa vie antérieure, ses souvenirs d’enfance. Ses perceptions changèrent sur-le-champ.
Depuis longtemps, il ne voyait plus en son épouse qu’une femme chichiteuse et étouffante. Mais à présent, déballant chaque matin les vêtements de rechange qu’elle lui avait préparés, il réalisait combien elle l’aimait et lui donnait, sans espérer rien en retour : c’était « ces beautés des jours que l’on voit passer, sans jamais les remarquer » (視而不見, shì ér bù jiàn).
Le stage les réveillait à ces richesses de l’âme, relayant le matérialisme futile de Shanghai et du monde.
Après cinquante-cinq ans de socialisme, on peut s’émerveiller de la facilité chinoise à retourner à cette sagesse védique et spirituelle. Il est vrai que cet amour et ce respect chinois envers l’Inde, sur toutes les choses de l’âme, date de millénaires : ils forment la trame du Voyage à l’Ouest, un des livres fondateurs de cette culture que l’on dit souvent – à tort – trop autocentrée !
Le Vent de la Chine n° 17 (XII), 30 avril – 13 mai 2007.